18-12-2023
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Les villes dans la nouvelle science fiction
L'avenir
caché
Hans Hollein, Urbane Konstruktion über Wien, 1960
Intervention
présenté au cycle de conférence SIMulation City. Art & nouveaux
médias.
Centre pour l'image contemporaine.
Genève, le 6 Dezember
2004
Felix Keller
Ville et utopie
Parler de l’image des villes dans la science-fiction, c’est peut-être parler d’un aspect accessoire dans des romans et films sans importance.[1] D’autre part, la science-fiction comme endroit culturel peu estimé nous donne certaines chances d’observation. Se développant au-delà de l’œil critique du champ de l’art, la culture populaire est capable de conserver, recombiner des images, faire visible des réalités imaginaires qui ne sont actuellement pas estimées ou présentables dans les arts établis. Exactement à cause de cette capacité, certaines œuvres de science-fiction, spécialement des films, ont, de temps en temps, attiré une attention plus vaste, montrant que la science-fiction transporte aussi l’héritage des utopies classiques disparues.
Mais pourquoi vaut-il se concentrer sur la représentation des villes dans la science-fiction ? Les villes sont indispensables dans la science-fiction et dans l’utopie classique – comme arrière-plan aussi que comme sujet primaire. Même si des récits utopiques présentent – avec une certaine régularité – le paysage comme lieu de la bonne vie de la bonne société, on peut bien comprendre l’utopie « rurale » comme réaction contre les anomalies se manifestant dans les villes en temps de changements sociaux rapides.
La relation entre ville et utopie est évidente : jusqu'à nos jours, les villes figurent comme emblème d’un centre social, comme lieu où apparaissent clairement les principes fondamentaux d’une certaine société. Les villes sont considérées comme les centres du changement social, comme des laboratoires de la modernité. La raison peut-être la plus importante pour que les villes soient prédestinées à présenter des sociétés différentes se montre déjà dans la pensée classique de l’utopie, émergeant avec la République de Platon : la ville grecque, c’est un lieu limité, entouré par des murs. La ville est la République, un endroit bien identifiable et descriptible.
Une ville idéale
Bartholomeus Delbene Civitas veri sive morum Paris 1609
La ville est « toute société » : un amalgame de nature
et culture, matériellement montrant la forme d’une certaine société.
Une ville, c’est le design de la société - les hommes dans des
villes : ce sont des corps humains tout immergés dans un certain
moment socio-historique.
En revanche, la représentation des hommes dans les paysages symbolise
une grande distance de la culture sociale, figurant comme emblème de la
libération des contraints sociaux (le bon sauvage, les outlaws dans le
western, p.e.).
L‘Utopie de Thomas Morus Illustration Amsterdam, 1730 Bibliothèque Nationale de Paris
comme contraste:
illustration de L'Ile mystérieuse (Jules Vernes)
C’est alors la ville comme unité matérielle et symbolique qui rend
possible d’imaginer une différence absolue de la société. L’imagination
utopique classique et les villes comme centre social identifiable dans
l’espace et temps se correspondent. Mais au XIXe siècle, les villes
sont affectées par des processus qui mettent en question l’identité
symbolique des villes en espace et temps et qui durent jusqu’à nos
jours. Le changement social rapide transforme la structure et la
surface des villes. Ce processus n’affecte pas toute la ville comme
ensemble : les transformations visiblement détruisent
l’homogénéité des villes. On parle aussi d’un processus de
fragmentation.
La perte de la homogénéité / la perte des lieus identifiables
Les développements rapides aussi rendent visibles le pouvoir de temps
et le caractère éphémère de toutes innovations. D’autre part, la
révolution socio-démographique, la réorganisation de la production des
biens, les nouvelles possibilités des transports mettent en question la
délimitation géographique des villes. Aujourd’hui, trois sur quatre
Français ou Américains vivent en régions urbaines. Ce succès de
l’urbanisation a rendu impossible l'identification des villes
elle-même. Les villes semblent s’effranger irrémédiablement en région
urbaine indéfinissable.
Le pouvoir du temps
Ruines des moules de Gallejo, Richmond,
1865, USA Metropolitan Museum
Néanmoins,
la diagnose de la fin de la ville qui accompagne ces transformations
structurelles depuis le dix-neuvième siècle ne signifie peine la
disparition des unités de l’administration des habitants. Elle ne
concerne rien d’autre que l’incapacité de maintenir le concept et les
métaphores de la ville face à des réalités démographiques,
géographiques et architectoniques [2].
Par conséquence, ce discours de la fin de la ville est sans fin. Il
tourne au rond en thématisant les problèmes des solutions manquantes
aux problèmes des temps modernes comme criminalité, pauvreté, pollution
et circulation au ralenti. Si on lit des articles comme La fin des
villes du sociologue Alain Touraine (dans l’hebdomadaire DIE ZEIT) on
ne trouve aucune argumentation qui n’était pas déjà discutée au
dix-neuvième siècle. On a l’impression que la ville est devenue le code
administratif pour un ensemble de problèmes se montrant dans une
certaine population.
La fin de l’utopie
Qu’est-ce
que signifie ce changement pour l’imagination utopique, c'est-à-dire de
penser d'autres sociétés que celles qui actuellement sont
possibles ? D’abord, on peut observer une certaine fuite de la
pensée utopique. Comme montrée, l’imagination utopique classique
est liée à la stabilité symbolique des villes traditionnelles pour
décrire des sociétés différentes. Les utopies classiques se trouvent
dans un autre espace, non-lieu, découvert par un voyageur. Le découvert
du progrès, l’idée que les sociétés remuent la longe d’une ligne de
temps, la possibilité d’imaginer l’avenir ouvraient la possibilité
d’imaginer le non-lieu dans le temps à venir. Le futur comme lieu-temps
n’est pas affecté par la fragmentation initiée par la société
industrielle étant en expansion. Dans l’imagination, il reste homogène
et identifiable. Mais même la projection de la société dans l’avenir a
besoin d’un point de départ de l’imagination. Le futur porte toujours
les traces du présent. On reconnaît très bien le Paris
pré-revolutionnaire dans le roman L’an deux mille quatre cent quarante
de Louis Sébastien Mercier, la première utopie projetée dans l’avenir.
L’utopie qui n’a pas de référence à la réalité actuelle comme un
« autre possible » de l’actuel, perd la force utopique.
Est-ce que l’utopie a une chance d'être réactivée face à ces
processus structurels? Pour trouver une réponse à cette question,
j’aimerais suivre une argumentation du philosophe et sociologue
anglais, Zygmunt Bauman[3],
paru l’année dernière dans la revue history of the human sciences sous
le titre « Utopia with no topos ». Zygmunt Bauman stipule que
le monde des hommes signale toujours des limitations. Alors, aussitôt
les hommes reconnaissent des limitations, il s’articule aussi l’idée de
les surmonter. Pour Zygmunt Bauman, depuis les temps modernes, ce
rapport est la source des utopies. Les imaginations d’une autre vie
dans une autre société sont néanmoins historiquement liées aux deux
conditions : territorialité et finalité. Qu’est-ce que cela
veut dire ? Les sociétés sont indispensablement amalgamées avec un
certain territoire. Toutes les identités, mais aussi les
différences et les contradictions sociales étaient fondées directement
ou indirectement sur le territoire. L’espace physique peuplé avec un
certain nombre des corps humains fonde la souveraineté de l’état :
en Europe, c’est le principe traditionnel de l’organisation du sociale.
Cet
ordre symbolique et physique a toujours été architectonique et
urbanistique, dit Zygmunt Bauman, parce que l’architecture exprime la
relation entre culture, pouvoir et territoire plus clairement. Dans
l’utopie tous les processus historiques sont fixés à un moment, comme
le fait la photographie : la territorialité rend possible la
finalité. Bauman aussi reconnaît que cette condition de l’imagination
utopique, la relation entre territoire, état, architecture et
population est en train de se détruire irrémédiablement. Les économies
globales ouvrent un nouvel espace engendré par des fleuves
d’informations de finance, par des échanges de biens qui font dissoudre
l’état national, les capitaux, la ville. Cette nouvelle logique d’un
espace coulant détruit chaque ordre symbolique qui est fondé sur le
territoire : the globe is full, dit Baumann, there is no hors de
cité anywhere on the planet.
La
diagnose de Bauman concernant les chances pour des nouvelles formes
d'utopies est impitoyable: le pouvoir et l’ordre territorial ne sont
plus stables. Ils ne laissent pas de place pour l'imagination d’une
finalité, d’une société différente : « The ’nowhere’ is no
more place. The ‘u’ of ‘utopia’ bereaved by the ‘topos’, is left
homeless and floating, no more hoping to strike its roots, to
‘re-embed’ » Tout ce que concerne la pensée de l’autre, ne se
laisse plus fixer, par exemple dans une ville ou un futur idéal. La
pensée de l’autre devient une vision privée qui change tous les jours.
Le demain, en tant qu'idée d'une collectivité future, est perdu :
l’imagination de l’autre reste une affaire privée qui se concentre sur
l’organisation d’un jour différent et meilleur. Alors, si on suit
Bauman, il faut oublier tous les efforts de réactiver l’utopie et
l’idée des villes, lors des congrès et dans des jolis bouquins. La
possibilité de penser les utopies est détruite finalement par des
raisons structurelles.
L’utopie - une affaire privée?
La vision de l’Archigram, une groupe d’architecte anglais:
Le Living Pod (1965) de
D. Greene
comme élement basal des villes nouvelles
Les villes, le futurisme et le naissance des icons populaires de l'avenir
J’aimerais
maintenant laisser les thèses de Bauman un peu dans l’air ; des
thèses qui me semblent représentatives pour un discours intellectuel
sur l’utopie, et je veux me concentrer sur la science-fiction comme
culture populaire. Pourquoi ? La science-fiction jusqu’à ces
jours-ci n’a pas tenu compte des thèses qui s’articulent dans le
discours de Zygmunt Bauman. D’un point de vue distancé de son
argumentation, le discours concernant la fin des utopies et la fin des
villes supporte tacitement l’idée que les concepts des villes et de
l’utopie sont des entités invariables en histoire qui permettent
seulement deux « mouvements » : de se reproduire ou de
disparaître. L’imagination utopique pourrait par contre se manifester
dans d'autres domaines que des oeuvres philosophiques, politiques ou
littéraires (c’était notamment l’idée d’Ernst Bloch). Pareillement
concernant les villes comme premier espace du social : les
sociétés pourraient produire d'autres espaces de condensation sociaux
qui figurent comme centres ou laboratoires: ou comme des villes
métaphoriques.
Alors
que le développement des représentations des villes en art et
architecture est bien documenté, comme dans la grande expo « la
ville. art et architecture en Europe » du Centre Georges Pompidou,
une telle recherche manque, selon ma connaissance, concernant la
culture populaire, précisément dans la science-fiction. Alors, en
thématisant la science-fiction, il faut d’abandonner certains
préjudices. Par exemple que la science-fiction parle toujours de
l’avenir.
Si on commence l’observation des sciences-fictions dans
les années vingt, ou les premiers films sont sortis, on peut conclure
qu’elles gardent une représentation de la ville qui est déjà en train
de se dissoudre. Pourquoi ?
La déstabilisation du temps et de l'espace articulé par des auteurs
comme Baumann, Saskia Sassen et Manuel Castells, n’est pas un phénomène
nouveau, déclenché par la globalisation. C’étaient déjà les futuristes,
comme Marinetti, qui annonçaient ce processus au début du dernier
siècle. « L’espace n’existe plus », formulait le
mouvement futuriste, l’espace est fragmenté, détruit par la vitesse et
technologie moderne. Cette idée de fragmentation des villes figurait
bien visible dans la représentation des villes dans l’art :
Les années dix et vingt: Dans l’art, déjà la fragmentation de la perception des villes
George Grosz Metropolis 1916-1917
George Grosz Metropolis 1916-1917
Stanley Cursiter, The Sensation of Crossing the Street 1913
Néanmoins,
l’architecture avait encore d'autres idées pour sauver la ville en
temps des turbulences de la modernité. L’architecture visionnaire ne se
concentre pas aux bâtiments isolés, elle fait au contraire le
« design » des villes comme un ensemble cohérent de
l’architecture. Il semble que l’architecture s’appuie contre cette
perception de la fragmentation dans l’art. L’art et l’architecture
semblent fonctionner comme un système correspondant.
Et la
science-fiction ? Comme déjà mentionné: Les premières évidences
concernant la présentation des villes en science-fiction contredisent
en fait la supposition dont la science-fiction thématise les
développements du futur. Au contraire, ces représentations figurent
comme mémoire collective des représentations des villes et du futur
passé, comme nous le pourrions très bien montrer. L’œuvre initiale et
paradigmatique, Métropolis de Fritz Lang, correspond bien
visiblement aux fantaisies architectoniques contemporaines, encore.
L’architecture homogénéisante des années vingt
Donat-Alfred Agache, Plaçao do Castello, ca. 1929
Ludwig Hilberseimer: Hochhausstadt: Perspektivische Ansicht der Nord-Südtraße, 1924
Henri Sauvage
Projet d‘immeubles à gradins en front de Seine, 1928
Néanmoins, les principes architectoniques et esthétiques sont
transportés jusqu’à nos jours, sans référence à l’architecture
actuelle. Métropolis a engendré des icônes architectoniques du futur
avec une durabilité étonnante. Blade Runner (1982) de Ridley Scott,
Matrix (1999) des frères Wachowski et The Fifth Element (1997) de Luc
Besson représentent seulement des exemples les plus connus de cette
iconographie.
L’architecture gigantesque, suivant les mêmes principes esthétiques et
de nouvelles formes de circulation sont les éléments centraux des
représentations de ces villes. De plus, il s’agit d’une architecture
qui suit clairement des principes esthétiques et conceptuels homogènes.
L’urbaniste Lefèvre appelait ces principes de construction les
isotopies. Les hommes deviennent minuscules. Ils sont dominés
complètement par l’architecture gigantesque. La science-fiction
transporte le souvenir de cette esthétique d’architecture jusqu’à nos
jours. Ce qui était utopie positive dans l’architecture de la fin de
siècle est gardé comme dystopie, utopie négative dans les
sciences-fictions contemporaines.
L’iconographie des discours architectoniques des années vingts dans les films de science fiction
Metropolis (1927) de Fritz Lang
The Fifth Element 1997
Pendant les années soixante-dix, la situation commence à changer.[4]
De plus en plus il devient inadéquat de dire que la représentation des
villes dans la science-fiction se réduit simplement à la reproduction
du mémoire culturel. D’abord, dans le domaine de l’art, on pouvait
découvrir un courant de représenter les villes de façon très réaliste,
de soigneusement registrer le déclin des domaines urbains. Le tableau
Stadtbild de Gerhard Richter montre un ensemble des maisons
familiales. Et une série des photographies d’Alain Blonde documente le
même lieu en des décades différentes, soigneusement registrant toutes
les différences.
Le regard néo-realiste d’e lart sur la ville et l’articulation de l’utopie perdu
Alain
Blondel / Laurent Sully-Jaulmes
Place Victor Hugor. 1905 1972 1993
Gerhard Richter Stadtbild SL3, 1969
La
force visionnaire des architectures changeait simultanément :
l’objet de désir de la création architectonique, ce n’est plus la
ville, l’urbanité. Maintenant, c'est le bâtiment. Selon le manifeste de
l'archit?ecture postmoderne de l’architecte Roberto Venturi, l’unité
des conceptions d’architecture est devenue impossible, les isotopies
sont des idées fausses. Ce sont des fragments des temps passés, des
citations des styles déjà existants qui se manifestent dans des
bâtiments postmodernes. On ne projette plus des rues, des quartiers ou
des villes, mais des maisons dans un contexte cru historiquement. Où
restait la vision de la ville utopique dans l’architecture ? Une
série des créations d’un groupe d’architecte italien, Superstudio, le
montre clairement. Une série de leurs tableaux s’appelle « Douze
villes idéales ». Les villes comme unité et comme utopie restent
vides.
Superstudio: Twelve ideal cities (extrait)
Les villes vides et l’ « émancipation esthétique » de la science fiction
Mais
cette fin de l’utopie et fin des villes classiques signifie le point,
où la science-fiction commence à s’émanciper, où la science-fiction
trouve des propres formes des récits et d'esthétique qui sont néanmoins
liés à cette diagnose de la fin de l’utopie, de la fin de la ville. En
d'autres mots : la science-fiction donne maintenant une propre
interprétation de ce processus. D’abord, la science-fiction montre les
villes comme des coulisses mortes. Depuis les années soixante se montre
un type de récits de science-fiction que j’aimerais appeler « les
villes vides ». Une seule personne se retrouve dans une ville qui,
au premier regard, semble tout à fait normale. Mais cet homme commence
à réaliser qu’il est le seul survivant qui restait après une
catastrophe, le dernier homme. Selon mes connaissances, on trouve ce
motif pour la première fois dans Omega Man (Boris Sagal, 1971) et il se
montre jusqu’à nos jours, dans Twelve Monkeys (Terry Gilliam, 1995) et
Resident Evil (Paul W.S. Anderson, 2002) par exemple.
L’exemple le
plus récent et peut-être impressionnante aussi, c’est 28 days
later (2002) de Danny Boyle: Après un accident, un jeune courrier
de bicyclette se réveille tout seul dans un hôpital. Il cherche des
infirmières, des médecins, des autres patients, mais il retrouve
l’hôpital tout vide. Le city de Londres où il cherche des hommes est
complètement dépeuplé aussi. Les hommes ont disparu. Notre courrier de
bicyclette est seul. Ce qui reste, c’est seulement la ville :
intacte, mais ne montrant que des coulisses sans fonction.
Le survivant seul: la ville comme coulisse vide
Omega
Man 1971
Resident Evli
2002
28days
later (2002)
C’est
donc la fin de la ville en science-fiction, on pourrait dire. Mais, ce
n'est définitivement pas la fin de l’histoire de l’imagination utopique
dans les sciences-fictions, et ce n'est définitivement pas la fin des
villes comme contexte des sciences-fictions aussi. Au contraire, c’est
le commencement d’une vague de science-fiction, appelé cyberpunk, qui
ne rendait pas seulement la science-fiction culte, mais créait aussi
des images et des concepts qui ont influencé la technologie jusqu’à nos
jours. Quand-même, il serait une erreur de penser que cette nouvelle
imagination est indiquée directement par des innovations techniques
nouvelles, comme l’internet. On peut montrer empiriquement que dans
l’art et dans le domaine de la science-fiction se sont parallèlement
montrés des nouvelles formes et concepts de l’espace : des espaces
de communication et d'information sans la technologie qui aujourd'hui
est associée à cet espace. En art par exemple, c’était Fred Forest, un
ami Parisien de Vilhelm Flusser qui a expérimenté avec un nouvel
« espace communicant » : un réseau comportant des lignes
téléphoniques, des répondeurs, des postes minitel qui établissent une
nouvelle sorte de relations entre communicants inconnus autour du globe
(cf. l’illustration à droit: espace communicant, 1983).
Et c’était
William Gibson, un écrivain canadien, qui a créé une métaphore de ces
espaces de ?communication, indépendants des personnes
communicantes : dans sa nouvelle Burning Chrome, paru en an
1984, il l’appelait « Cyberspace » : un espace
imaginaire, un « nowhere », un utopos qui est néanmoins réel.
Par sa métaphore, Gibson fait comprendre des processus d’interactions
entre hommes/hommes, machines/hommes ou machines/machines comme espace.
Cette idée n’est pas évidente, cette une nouvelle perception, qui avait
néanmoins la force d’engendrer des réalités nouvelles. D’abord, il se
formait un mouvement littéraire qui s’appelait Cyberpunk, un groupe
d'écrivains américains, dont les romans jouent dans ce nouvel espace
imaginaire, dans cette « hallucination collective » comment
Gibson l’appelait. De plus, ce genre de littérature était bien lu par
des techniciens jeunes qui expérimentaient avec les ordinateurs et
réseaux électroniques. À l’exemple du roman de Neil Stephenson Snow
Crash, on peut bien reconstruire comment cet univers littéraire a forcé
la programmation de VRML, un langage de programmation bien connu qui
peut établir un monde en trois dimensions sur Internet. Le but des
jeunes programmeurs était explicitement la reconstruction de la ville
virtuelle que Stephenson a désignée : le black sun – une ville,
peuplée par des avatars, des personnes virtuelles programmées avec art.
Villes virtuelles - villes réelles
C’est
intéressant de voir, que cette ville idéale et virtuelle dans le roman de
Stephenson est contrastée avec une ville réelle complètement défragmentée, sans
centre, sans ordre. Les Etats-Unis n’existent plus, les états nationaux en
général ont disparu. Dans ce sens, tous les romans de cyberpunk suivent la
diagnose constatée dans le discours urbanistique et théorétique, mais ils
repensent la ville dans un nouveau domaine, le cyberspace. Cette façon de voir
était paradigmatique : On peut très bien reconstruire comme les nouveaux mondes
électroniques étaient décrits avec des concepts empruntés du discours
urbanistique
Sous
ce rapport, il faut tenir compte du fait que Gibson et les auteurs de
Cyberpunk sont loin de l’idée traditionnelle d'une science-fiction qui
prévoit l’avenir. Au contraire, pour Gibson, l’idée que la
science-fiction agisse de la future est naïve. Pour lui, la
science-fiction est un genre littéraire qui veut saisir un présent plus
étrange que la plupart des sciences-fictions pourraient imaginer.
Alors, avant l'époque de l’internet, les Cyberpunks ont créé un horizon
d’interprétation, un lieu imaginaire, une utopie qui a engendré de
nouvelles réalités. Parallèlement avec le développement de l’internet,
centaines de nouvelles villes émergeaient dans ce nouveau
non-lieu : des cybercities, des villes virtuelles, des cités
électroniques qui essayent de simuler le même sentiment d’agir que des
cités réelles : il y a des rues, des magasins, des cafés, des
banques. Beaucoup des entreprises étaient enthousiastes. Mais, le culte
des Cyberpunks a forcé des espoirs et des imaginations qui étaient
exagérées : Entre-temps, la plupart des adresses électroniques
sont mortes, les cybercities sont vides comme le Londres de 28 days
later. C’est évident : la vie quotidienne n’a pas trop changé.
Boire un café, faire les courses, dîner ensemble sont restées presque
les mêmes activités depuis des douzaines d'années. L’idée de redoubler
simplement la ville dans le cyberspace était inféconde.
Dans
le nouveau roman de William Gibson, Pattern recognition, il ne joue
plus dans le futur, un acteur est introduit comme le jeune héros
mystérieux avec tous les insignes de cyberpunk: manteaux en cuir noir,
lunettes noires. Alors, ce héros avait créé une entreprise .com qui
vient de faire faillite. Il travaille maintenant comme détective privé,
aidant l’héroïne. Ce que commence comme une histoire d’amour finirait
par des scènes tragiques-comiques où le .com détective suivait
obstinément une fausse trace pendant la plupart du roman. Le
commentaire final de l’héroïne est remarquable: “Lui ? Il était
complètement inapte”. On peut lire cette histoire comme le commentaire
moqueur de William Gibson sur l’interprétation trop textuelle de son
imagination littéraire.
La fin de la science-fiction ?
Comme
conséquence, il semble qu’on peut observer une nouvelle fuite de la
pensée utopique, maintenant devant l’avenir. Le plupart des auteurs des
sciences-fictions du dernier vague écrivent maintenant sur les temps
contemporains ou passés. De plus, les tirages des romans de
science-fiction nettement baissent au moment, même Hollywood a réduit
la production de films de ce genre. Alors, la thèse de la fin de
l’utopie peut-elle finalement être considérée comme prouvée aussi dans
le domaine de la culture populaire ?
J’aimerais revenir aux
thèses initiales : le discours sur les deux fins de la ville et de
l'utopie présume la continuité de deux catégories : l’identité des
lieux dans l'espace (villes) et la pensée des finalités des temps
(utopie). La pensée utopique changeait du roman classique à la culture
populaire il y a environ cent ans. Peut-être elle a déjà trouvé un
autre médium d'articulation entre-temps. Néanmoins, on peut très bien
observer une transformation de la pensée utopique dans le domaine de la
science-fiction aussi, des sciences-fictions qui survivent le dernier
succès passé.
Bauman a peut-être raison quand il dit qu’avec la crise des villes et
la fin de l’utopie naît une nouvelle individualité. Mais l’individuel –
la psychologie et la sociologie le disent depuis longtemps – représente
une idée qui n’est à peine à fixer. L'identité aussi est un u-topos. Et
comme l’imagination utopique classique est fondée sur un certain
concept de l’architecture, de la ville, les idées de l’individualité se
fondent sur le corps humain comme porteur des individualités. Comme la
métropole moderne est en même temps une construction idéelle et une
architecture réalisée, le privé est l’amalgame du corps et un domaine
imaginaire : l’individualité. Alors, la conclusion de Bauman que
la pensée utopique est arrivée au bout, est éventuellement tirée trop
vite.
Le corps comme non-lieux
Si
on consulte les oeuvres de l’utopie classique, on peut bien observer
une concentration signifiante accordée au contrôle et à la manipulation
des corps. Très bizarrement, la description des sociétés
utopiques nous donne toujours l’information exacte, combien de
corps se trouvent dans les villes utopiques : La république de
Platon comportait 5'040 habitants, More décrit soigneusement la
régulation des nombres des habitants dans une ville qui est prescrite
par loi ; une unité de la ville idéale de Robert Owen peut
recevoir 1200 personnes, une phalange de Fourier 1.600 personnes. Même
l’imagination des villes idéales par Corbusier est liée à un nombre
exact d'habitants : trois millions. Cette relation entre le
contrôle du corps et les conceptions des villes dans la culture
européenne va plus loin. Elle est montrée dans l’étude impressionnant
de Richard Sennett : Flesh and Stone: The Body and the City in
Western Civilization.
Regardons
les mouvements des corps dans les films de science-fiction nouveaux.
L’hypothèse est la suivante : en même temps que la représentation
des villes devient plus réaliste, la représentation des corps commence
à se transformer à un niveau imaginaire qui modifie le sens de l’utopie
comme non-lieu de nouveau. Ci-dessous, des extraits d’un film de la
dernière vague de science-fiction. Johnny Mnemnonic. William Gibson est
l'auteur du scénario. Les villes dans ce film sont présentées presque
traditionnelles : les métropoles sont en crise. Mais ce qui est
remarquable, c'est la représentation des corps: le corps reste d’abord
en-dedans des coordonnées traditionnelles du temps et de l'espace. Mais
il se transforme soi-même en espace, aussitôt qu'il est connecté au
nouvel espace de l’information : le cyberspace. C’est à vous à
décider si l’esthétique de cet espace rassemble à celle des villes
futuristes déjà présentées.
Le corps comme "cyberville intérieure" : Johnny Mnemnonic (Roberto Longo, 1995)
Cette multiplication de l'espace à la base de corps humains peut
également être observée dans d'autres films fameux comme Lawnmower Man
(Leonard Brett, 1992). Le film Tron (Steven Lisberger, 1982) montrait
déjà en début des années huitantes comment l’espace électronique et la
ville réelle se commencent à rassembler et confondre en même temps.
Même la fameuse trilogie Matrix montre ce motif . La ville
contemporaine de Matrix est traversée par d' “autres
espaces” : la vie contemporaine simulée (la Matrice) existe
parallèlement avec la ville des machines (Machine City) engendrant
cette réalité virtuelle. Finalement, au-delà de la Matrice il y a la
ville cachée. Les champs des corps humains servant comme source
d’énergie pour la ville des machines.
Dans tous ces films, on peut observer le même processus : Le corps
devient le catalyseur où ils se réalisent ces différents espaces. Il
figure comme une porte entre des espaces différents. Le corps est
espace et agent dans cet espace simultanément, suivant le même
esthétique aussi.
Les villes co-existantes dans le film « Matrix »
Moins
spectaculaire, mais plus subtil que Matrix, et plus confus concernant
le même problématique est le film du régisseur japonais Mamoru Oshii de
l’an 2001, produit en Pologne. Pour moi c’est une rupture de
l’esthétique concernant la représentation de ces nouvelles réalités. Le
récit commence de façon presque banale. Dans les villes tristes du
postsocialisme, un nouveau jeu de vidéo illégal est le seul lieu
d'évasion. Cet espace s’ouvre « dans le corps » en se
connectant aux serveurs du jeu électronique. Alors, l’héroïne découvre
un espace secret, un secret level, qui’s appelle « réalité ».
Ce level est filmé de façon très naturaliste, contrairement à la ville
dans laquelle l’héroïne vit d'habitude. Mais le soupçon que cet espace
qui s’appelle « réalité » est la vraie réalité, est très vite
détruit. Ce qui existe, ce sont des espaces coexistants, se
transperçant dans un sens complexe, mais toujours présentés comme une
réalité quotidienne. Les corps changent entre ces différents niveaux de
réalités. Ils ouvrent de nouveaux espaces où ils sont toujours en
danger de se perdre.
Confusion de l’espace et réalité: le corps dans la ville comme interface
C’est la vision complètement réaliste d’un jour normal qui nous donne
ce film de science-fiction. Ce scénario urbain est quotidien, mais
quand-même troublant, donne de soupçon ce que pourrait arriver, demande
une attention énorme. La science-fiction est arrivée au présent.
Fin
Comment
est-ce qu’on peut interpréter cette forme de montrer les villes et les
corps dans les nouveaux films de science-fiction? La représentation des
villes dans ces films suit la diagnose actuelle : elles sont
fragmentées, elles sont la plupart des temps en crise. Il n’y a pas de
changement des coordonnées de temps et de l'espace : ce sont nos
villes du présent, ou de la future proche. Les corps des
individus, objets de transformations favorisés du mouvement Cyberpunk,
restent visiblement les mêmes que dans la vie quotidienne.
Mais
l’espace traditionnel des villes contemporaines interfère avec les
autres espaces dans ces films. Le dictum de Georg Simmel : wo ein
Ding ist kann kein anderes sein, est mis en question. Mais, cette
vision n’est pas abstruse, elle est dans un certain degré liée aux
expériences quotidiennes. La sociologie de l’espace a depuis longtemps
montré que des personnes différentes vivent dans des différents
espaces, même s’ils habitent le même lieu, la même ville, le même
quartier. Mais le nouveau film de science-fiction montre plus que
l’expérience des environnements différents dans le même territoire.[5]
Ce
que montrent les nouveaux films de science-fiction, c'est l’interaction
et le redoublement des différents espaces par la technologie, mettant
en question le sens de l’utopie : ce que l’utopie désigne n’est
plus un non-lieu imaginable. L’utopie montre une multiplication
des lieux dans le même espace - médiatisée par des corps et la
technologie de communication - qui met en question les catégories
fondamentales de notre pensée concernant l'espace et le temps et notre
possibilité de penser l'utopie. Ce genre de science-fiction ne montre
plus d' autres lieux comme lieux alternatifs de notre existence,
localisés dans l’avenir. Devant la coulisse traditionnelle de notre
ville, elle montre la co-présence d'autres réalités. Cette
science-fiction nous ne livre pas des nouveaux concepts ou
analyses : elle met en image la réalisation d’une transformation
technique de notre présence anthropologique qui affecte notre
définition du réel, notre hic et nunc comme être humain dans un
environnement stable “en viande et pierre” .[6] La science-fiction était visionnaire. Maintenant elle est devenue réaliste.
Même
si ce processus signalise la fin de l’utopie, la fin de la
science-fiction comme pronostic de l’avenir: Le plus rassurant de ces
fantaisies est qu’ils abandonnent toute vision totalisante et
homogénéisante des villes comme forme sociale. Et le plus agréable de
ces visions nouvelles : On peut très bien éteindre techniquement
cet avenir cachée, aussitôt que les comportements bizarres de nos
appareils de communication donnent l’impression que ces idées des
espaces cachés ne sont pas toute à fait fausses. Une utopie?
Remarques
[1] Hernot, Yann: “La science-fiction. Entretien avec Pierre Bourdieu”, dans Science-Fiction, n° 5, octobre 1985, pages 166-183.
[2] Cf. Préface de: Fuchs, Gotthard, Bernhard Moltmann und Walter Prigge, (éds.), 1995:
Mythos Metropole. Frankfurt am Main: Suhrkamp.
[3] Bauman, Zygmunt, 2003: Utopia with no topos, History of the Human Sciences, 16, S. 11-25.
[4]
Une autre étape du développement des représentations des villes que
j’aimerais sauter, parce qu’elle est bien connue, ce sont les phantasmes des catastrophes,
comme Susan Sontag les appelait: Les villes complètement détruites.
C’est bien évident qu’il s'agit aussi des spectres des guerres
mondiales. Ce phantasme de destruction est aussi accompagné d'un sujet
parallèle dans l’art après-guerre qui aujourd’hui a disparu. Bien sûr
les films plus élaborés dans ce genre – et pour des raisons bien
compréhensibles après Hiroshima – ce sont les films Godzilla japonais.
De nouveau, la science-fiction porte la mémoire des anciennes
représentations des villes. Dans les films de Roland Emmerich, par
exemple, New York est détruit répété, soit par des monstres, des
martiens ou des catastrophes climatiques.
[5]
Et ces expériences sont presque réalistes. Un exemple : Dans le
bus, mon voisin qui est assis prés de mois est connecté à un autre
lieu, s’ il communique avec un autre par portable. Il est physiquement
prés de moi, parle acoustiquement avec une personne près de moi qui se
trouve effectivement ailleurs. Cette schizophrénie de l’espace,
dérangeant la condition anthropologique humaine, est peut-être la
raison que des conversations avec des portables dans l’espace public
énervent la plupart des hommes. Mon voisin téléphonant est bien
localisable par des technologies d’information, par son numéro de
portable par son répondeur, par sa présence à l'internet, même si le
bus bouge très vite. Mais où se trouve cette adresse électronique dans
l'espace et le temps ? Un autre exemple : Pendant le
congrès du parti républicain à New York cette année, on pouvait
observer des protestations massives. Au début, les émeutes étaient très
difficiles à prévoir : les protestataires s'organisaient par les
SMS de leurs portables. Mais entre-temps la police a surveillé le
trafic SMS aussi. Pour cette raison, les protestataires n’étaient
jamais sûrs si la police n’est pas déjà là. Et la police n’était pas
sûr si leur observation est déjà une part du jeu. Les stratégies
urbanistiques de Haussmann pour contrôler les masses à l’aide de
l’architecture sont devenues superflues, l’architecture est pénétrée et
modifiée par l’espace électronique des informations.
[6]Cf. Sennett, Richard, 1994: Flesh and stone. The body and the city in western civilization. New York etc.,
Norton
La ville triste où l'heroïne habite
Le passage au réalité du jeux électronique
Le monde du jeu électronique
Elle trouve maintenant le passage au "secret level".
Elle se retrouve "dans" le "secret level" de ce jeux.
La réalité?
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