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18-12-2023

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La ville volante de Georgii Krutikov

Par Andrés Duran

 

Progress is the realisation of utopias
-Oscar Wilde

L’utopie n’est que la réalité de demain
-Le Corbusier

 

Source: Andrés Duran 1998

 

Les sources : les antécédents architecturaux, ses modèles, ses professeurs

Le projet de la Ville volante s’inscrit dans la lignée des projets utopistes soviétiques des années vingt. Ces projets étaient une tentative de réponse aux problématiques des projets urbanistiques socialistes et aux questionnements soulevés par l’industrialisation massive et accélérée souhaitée par les hauts dirigeants du Parti Communiste. En effet, les tares physiques et morales des grandes villes étaient remises en question à cause de leur densité excessive, insalubrité de l’habitat et des quartiers ouvriers, l’éloignement du lieu de travail, inadaptation des voies de communication, l’absence des espaces verts, l’opposition des quartiers riches et les quartiers pauvres et, finalement, la monotonie et l’aspect inesthétique des nouvelles constructions. Ces critiques dénotent un certain désordre social et urbain en vigueur au tournant du siècle en Russie. De ces problématiques, les architectes et urbanistes essayeront d’élaborer un modèle spatial qui pourra supporter la nouvelle société en voie de construction.

Georgii Krutikov a étudié au Vkhutemas, l’école d’art et d’architecture de Moscou. Cette école, très proche des idées du Bauhaus, a développé une des premières méthodes d’enseignement du design et s’est penchée sur des problèmes d’urbanisme et de constructions publiques. Les professeurs à la faculté d’architecture ont été : Gosolov (1883-1945), Guinzbourg (1892-1946), Krinsky (1890-1971), Ladovsky (1881-1941), Léonidov (1902-1959), Melnikov (1890-1974) et les frères Vesnin (Alexandre Vesnin 1883-1959, Leonide Vesnin 1880-1933). Tous ces architectes ont, pour la plus part, enseigné durant toute la décennie 1920-1930. Leurs projets utopiques s’inscrivent dans une approche constructiviste de l’espace : une suite de volumes géométriques simples juxtaposés pour créer un ensemble assez homogène. L’esthétique de ces constructions ou de ces projets est un corollaire des formes géométriques déployées dans l’espace. En effet, on peut noter qu’aucun élément superflu d’ornementation ne vient s’ajouter au dessein de l’architecte. Les projets sont simples mais ont gardé une monumentalité impressionnante par rapport, par exemple, aux propositions de logements pour les ouvriers. On peut y remarquer un investissement de l’espace mais toujours avec un souci de dégagement et de clarté. Un accent est également donné à la verticalité des constructions.

 

Ces projets et constructions cherchaient à rendre, de manière appropriée, les formes et l’aspect d’une société socialiste et communiste. Marx et Engels avaient condamné les villes capitalistes, mais n’avaient pas proposé de modèle idéal. Ainsi, après la Révolution, le droit à la propriété privé ayant été aboli, et la notion d’égalité entre les hommes étant le moteur principal de l’idéologie communiste, la notion de ville et de construction rejette toute identification à une hiérarchie politique et sociale. La voie était, d’une certaine manière, ouverte aux propositions des architectes et des urbanistes soviétiques.

 

Le programme architectural de Krutikov pour la Ville volante s’inscrit dans l’urbanisme progressiste de ses professeurs et sous l’influence indirecte du Corbusier. L’urbanisme progressiste analyse les besoins de l’homme et permet de déterminer les conditions les mieux appropriées à sa nature. Certaines caractéristiques ressortent de ces analyses : l’espace est ouvert, découpé selon les besoins de l’homme en lieux distincts (travail - industriel - libéral - agricole, repos, culture et loisirs). L’ordre progressiste est austère. La beauté et la fonction coïncident et toutes les valeurs artistiques du passé sont rejetées au profit d’une géométrie naturelle. Les édifices sont comme les ensembles urbains, définis une fois pour toutes dès lors qu’ils ont été l’objet d’une analyse fonctionnelle. L’urbanisme progressiste propose un établissement éclaté, chacun autosuffisant et juxtaposé au suivant. Le concept de la ville-campagne gagne au détriment du concept de la ville classique. L’urbanisme progressiste, malgré ses visées à libérer l’homme, présente des systèmes contraignants et répressifs en imposant des lieux distincts pour les activités de chacun.

 

Définition de l’homme : c’est un type universel donc des besoins universels

 

Georgii Krutikov était l’élève de Ladovsy. Il commença à s’intéresser à l’idée d’une ville volante durant ses études au Vkutemas. Cette idée n’était pas nouvelle. En effet, depuis le programme artistique du futurisme, qui eut un certain succès en Russie, l’idée du dynamisme était présente dans les compositions plastiques et architecturales comme en font foi les propositions pour une ville dynamique de Klutsis.

 

L’approche de Krutikov pour son projet s’établit en termes de relations entre les bâtiments et la nature. Le but de la ville : répondre aux besoins de l’individu type, conditionnement des habitants à un rendement maximum et de leurs activités.

 

Chaque partie de la ville se décomposé en unités de fonction. Il existe une unité de loisir, une unité d’habitation, etc. Le découpage se fait selon les activités humaines dans des lieux distincts : habitat, travail, loisirs. Les caractéristiques de ces modules sont l’ouverture hygiénique distribuant également air, lumière et verdure. LA Ville volante était constituée de deux parties essentielles, sur un plan vertical. La première partie, l’élément volant, étaient les habitations, les résidences. La deuxième partie se trouvait au sol et était essentiellement composée de complexes industriels. Ceux ci étaient disposés sur les extrémités d’un plan en spirale. La partie habitée, de forme paraboloïde, se trouvait suspendue au centre de la spirale. Krutikov a divisé ses résidences en trois types : 1) la commune de travailleurs, constituée de huit parties verticales de six étages reliées entre elles par un tore, qui fait office d’espace commun et qui pouvait contenir les véhicules autonomes. Chaque étage était divisé en six unités d’habitations ; 2) le second type est similaire mais plus compact que le premier dans lequel, les huit parties verticales sont agencées dans un seul bloc monolithique de huit étages sous lequel est situé l’espace commun, de forme sphérique ; 3) le dernier type est une habitation hôtelière avec des cellules de " stationnement " pour les habitations et situées sous celle ci. L’espace commun est situé au-dessus du complexe.

 

Dans ses études sur les moyens de transport, Krutikov analyse l’évolution de ceux-ci pour arriver à imaginer un véhicule autonome et universel. Ces études cherchent à comprendre l’évolution des moyens de transport classiques pour en tirer une forme idéale, sa cabine volante, et peuvent ainsi libérer l’homme de ces contraintes de locomotion urbaines. Il propose ainsi des voies de communication aérienne. Dans l’autre panneau, Krutikov analyse l’évolution de l’habitation mobile. On y voit des habitations aquatiques, terrestres et aériennes.

 

La vitesse, de plus en plus grande, a été apprivoisée et dominée par l’homme à travers le temps. L’évolution des moyens de transport, selon l’idée que s’en faisait Krutikov, avait une incidence directe sur les bâtiments, mais particulièrement sur les résidences. Ainsi, pour l’architecte, les moyens de transports les plus sophistiqués et évolués seraient, éventuellement, des architectures mobiles. De cette manière, de nouvelles perspectives entre les structures architectoniques et la nature seraient considérées. Ce point de vue, proposé par Krutikov, permettait ainsi de se déplacer sur le sol pour laisser la place à la verdure, la campagne, la nature et, corrélairement, y accéder. C’est là un des points saillants de l’urbanisme progressiste comme nous l’avons défini plus haut. De cette manière, Krutikov questionne la possibilité de libérer l’espace de la ville et ses agglomérations architecturales en les rendant mobiles.

 

Partant de ces deux études, Krutikov arrive à la conclusion que cette architecture mobile serait plus efficace dans son rendement et utilisation s’il optait pour une libération permanente du sol. La ville, composée des ces unités architecturales mobiles, pourrait, si elle le peut sur un plan à deux dimensions, se déplacer dans la troisième dimension : la hauteur. Il propose donc de faire voler la ville au-dessus de la surface terrestre.

 

Pour Krutikov, la terre serrait libérée des résidences et des bureaux gouvernementaux, et on n’y trouverait que les endroits de travail, de loisir et de tourisme. La circulation s’y ferait par les capsules autonomes volantes, moyen universel de locomotion dans les airs, sur le sol et dans l’eau. Les problèmes majeurs de communication serraient ainsi réglés. Chaque cabine pourrait servir d’habitation temporaire et serait aménagée en conséquence : confort et installations appropriées étaient prévues. Cette cabine était considérée par Krutikov comme la partie mobile et autonome d’une résidence. Elle devait permettre de faire le lien entre les bâtiments flottant dans les airs. Les déplacements étaient donc prévus pour la population et non pas pour les bâtiments.

 

Cette partie du projet, la " cabine volante ", connote un rationalisme simple et une conception universaliste de l’homme, défini en besoins et en fonctions élémentaires.

D’ailleurs, toute la base scientifique du projet est marquée ces caractéristiques. En effet, comme le remarque Khan-Magomédov, Krutikov croyait que l’énergie nucléaire, abondamment disponible dans le futur, rendrait la tâche de suspendre un bâtiment dans l’espace assez facile. On peut tirer cette conclusion en analysant le panneau de " L’homme maîtrisant l’atmosphère et les autres élément de la Terre ". On peut suivre le raisonnement de Krutikov sur la possibilité, qui en fait aurait dû être la prochaine conquête de l’homme, de maîtriser la construction aérienne, l’édifice flottant dans l’espace. La première étape est la conquête de l’élément aquatique : sous l’eau, dans l’eau et, finalement, au-dessus de l’eau. On remarque aussi, que chaque élément est présenté avec un élément de vitesse et de dynamisme : de mouvement, qui va en croissant d’élément en élément, sauf pour le dernier. La deuxième partie nous montre la conquête des airs, avec une image surprenante d’une fusée (nous sommes en 1928) juxtaposé à l’image d’une ville volante étant vue par un homme qui aurait servi à illustrer le livre des voyages de Gullivert. La troisième planche nous montre la conquête de l’espace. Le dernier montage photographique montre les moyens de transport sur la terre ferme. C’est sans doute à l’aide de cette étude que Krutikov arrive à la conclusion qu’un appareil autonome et universel est nécessaire pour établir des moyens de communication efficace pour sa ville du futur.

 

La simplicité de la logique fonctionnelle transparaît dans la Ville volante : la ville progressiste, de la manière dont nous l’avons définie, refuse l’héritage artistique du passé et se soumet aux lois d’une géométrie naturelle et d’une esthétique nouvelle. Le zonage et la géométrie élémentaire d’espaces éclatés éliminent la rue (ici, au sens propre du terme également) et on assiste à une standardisation du logement pour le plus grand nombre d’individus. La ville progressiste est ici éclatée : les quartiers sont juxtaposables en obtenant toujours le même résultat, systèmes contraignants et répressifs (rigidité du cadre spatial prédéterminé, ordre spatial assuré par une contrainte politique et système de valeurs communautaires répressif). La planification de la Ville volante peut ainsi s’inscrire dans l’idéologie progressiste de l’urbanisme.

Narkomtyazhprom, Moscou (18434 bytes)

Ivan Fomin, Abrosimov et Minkus : Palais pour le Narkomtyazhprom, Moscou, 1934

 

Palais des Soviets, Moscou (17294 bytes)

Gelfreickh, Boris Iofan et Shchuko : Palais des Soviets, Moscou,1933-35

 

Narkomtyazhprom, Moscou (18962 bytes)

Melnikov : Palais pour le Narkomtyazhprom, Moscou, 1934

 

Narkomtyazhprom, Moscou (32623 bytes)

Melnikov : Palais pour le Narkomtyazhprom, Moscou 1934

 

Ville sur ressorts (16708 bytes)      Ville Dynamique (10244 bytes)

Lavinsky : Ville sur ressorts, 1921    Klutsis : Ville Dynamique, 1919

 

Ville volante (9548 bytes)

Krutikov : Ville volante, vue générale, Vkhutein, 1928

 

Ville volante (25682 bytes)

Krutikov : Ville volante, diagramme planétaire, Vkhutein, 1928

 

Ville volante (14672 bytes)

Krutikov : Ville volante, vue générale, Vkhutein, 1928

 

Ville volante (16360 bytes)

Krutikov : Ville volante, plan section, Vkhutein, 1928

 

Ville volante (8799 bytes)

Krutikov : Ville volante, cabine volante, Vkhutein, 1929

 

Ville volante (14142 bytes)

Krutikov : Ville volante, plan section, hôtel, Vkhutein, 1928

 

Ville volante (15014 bytes)

Krutikov : Ville volante, vue générale, Vkhutein, 1928

 

Monument à Chistophe Colomb (16947 bytes)

Krutikov, Varentsov, Bunin : Monument à Christophe Colomb, plan, élévation, 1929

 

Monument à Chistophe Colomb (13137 bytes)

Krutikov, Varentsov, Bunin : Monument à Christophe Colomb, perspective.

 

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