17-11-2023
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La famille dans tous ses espaces…
ou presque !
Espaces et sociétés - revue
Editions érès
Extraits du
N°120-121
:
La question des rapports entre familles et espaces ne constitue pas
une nouveauté. Mais l’étude de ces rapports revêt aujourd’hui un nouvel
intérêt, à un moment où les formes et les structures familiales, mais
aussi les espaces de vie des individus et des ménages, se diversifient
fortement. Quels sont les espaces contemporains de la famille et des
relations familiales ? Quels rôles jouent les espaces familiaux dans la
construction des identités familiales, des liens familiaux, ou bien
encore dans les trajectoires sociales des individus ? Ces questions sont
traitées dans ce numéro à partir de contributions portant sur différents
types de familles (recomposées, élargies, de milieux aisés ou
défavorisés…) et différents types d’espaces (le logement, la résidence
secondaire, la ville, les villages de vacances…), observés en France et
à l’étranger.
_____________________
« De toute façon, pour avoir le
sentiment de créer vraiment une nouvelle famille, je crois qu’il faut
prendre un nouveau logement. »
(Béatrice, célibataire, 29 ans, infirmière en bloc opératoire, citée par
Didier Le Gall dans l’article
« La conception de l’habiter à l’épreuve de la recomposition familiale
»)
Dans le champ des sciences sociales,
l’intérêt des chercheurs à l’égard des dimensions spatiales de la
famille (de la vie familiale, des liens familiaux…) ne constitue pas une
nouveauté. Des travaux réalisés dans les années 1950 sur l’habitation
des familles ouvrières (Chombart de Lauwe, 1959 et 1960), aux études
plus contemporaines consacrées aux relations familiales au sein du
logement (de Singly, 1998), en passant par les analyses produites dans
les années 1970 sur l’évolution des liens familiaux dans les sociétés
urbanisées (Pitrou, 1976), la question des rapports entre familles et
espaces a déjà donné lieu à une importante littérature (Bonvalet, 1998).
Mais cette question mérite aujourd’hui d’être ré-examinée. La
diversification croissante des espaces de vie des individus et des
ménages, les tensions nouvelles entre ancrage et mobilité, entre
regroupement et dispersion, qui accompagnent le processus contemporain
d’urbanisation et auxquelles se trouvent confrontés aussi bien les
individus que les groupes sociaux de tous types, les évolutions rapides
des formes et des structures familiales, ou bien encore l’importance
grandissante que semblent revêtir les espaces résidentiels en termes de
ressources et de constructions identitaires, tout cela invite en effet à
approfondir et à élargir, à la fois l’étude des espaces de la famille et
l’analyse des rapports à l’espace des groupes familiaux et de leurs
membres. Tel est l’objet et l’enjeu de ce dossier, qui réunit au total
dix contributions.
Dans cet ensemble, les familles recomposées (dont le nombre a augmenté
de près de 10 % en France entre les deux recensements de 1990 et 1999)
constituent sans surprise « la famille » la plus étudiée, parfois dans
sa totalité, parfois à travers ses conjoints, parfois encore du point de
vue des enfants. Mais les textes rassemblés dans ce numéro ne se
limitent pas à cette catégorie et, surtout, à une conception de la
famille associant seulement les parents et les enfants. Grands-parents,
oncles et tantes, frères et soeurs, petitsenfants sont aussi présents
dans les familles décrites et analysées.
Du côté des espaces, le logement (ou la tente, chez les bédouins maures
de Mauritanie), lieu traditionnellement associé à la famille et à la vie
familiale, occupe, sans surprise également, une place importante. Mais
là aussi, les auteurs de ce dossier ne se focalisent pas uniquement sur
ce lieu et considèrent de nombreux autres espaces familiaux, passés et
présents : les lieux d’origine, les lieux de résidence des membres de la
parenté, la résidence secondaire, le village de vacances familial, ou
bien encore (de façon plus inattendue) la maison de retraite.
Au-delà de cette diversité, dans les catégories de familles et d’espaces
mobilisées et observées, les articles présentés ici se distinguent par
la manière dont leurs auteurs abordent et traitent la question des
rapports entre familles et espaces.
Dans le premier texte, Jean-Michel Léger et Benoîte Decup-Pannier
examinent, à travers l’observation de plusieurs opérations de
construction de logements (sociaux), comment les architectes se
représentent la famille en termes de composition, de relations et de
manières d’habiter, et comment les familles reçoivent les dispositifs
mis en espace par les architectes. Comme les chercheurs en sciences
sociales, les architectes accordent une place prépondérante aux
nouvelles compositions familiales. Les dispositifs qu’ils mettent en
oeuvre sont très divers, privilégiant tantôt le « vivre ensemble »,
tantôt au contraire le « vivre séparément », et relèvent davantage de la
« créativité hasardeuse » que d’une mise en pratique des savoirs sur les
usages. Mais loin de déterminer mécaniquement les manières d’habiter des
familles, ces paris architecturaux ouvrent aux familles autant de
possibles qu’ils en ferment.
Dans le texte suivant, Didier Le Gall s’intéresse également à la
conception de l’habiter, mais à la conception de l’habiter des familles,
et plus précisément des familles recomposées, à travers l’analyse du
partage (de la sélection) des meubles et des appareils électroménagers
entre les conjoints, au moment de l’entrée en cohabitation. Qui garde
quoi ? Comment les conjoints procèdent-ils ? Quels arguments font-ils
valoir ? Quel que soit le mode d’entrée en cohabitation (par agrégation
de l’un des conjoints dans le logement de l’autre, ou par emménagement
des deux conjoints dans un nouveau logement), la sélection des meubles
au sein de ces ménages apparaît le plus souvent, plus que l’affaire du
parent gardien, l’affaire des femmes, à qui reviennent la conception de
l’habiter et l’usage de l’espace domestique, tandis que la sélection de
l’électroménager s’opère, semble-t-il, sur la base d’une partition plus
égalitaire.
Familles recomposées et logement sont à nouveau associés dans le
troisième article, écrit par Aude Poittevin. Ici, l’auteur porte son
regard plus spécifiquement sur les enfants de ces familles, issus d’unions
distinctes et cohabitant à temps plein et/ou à temps partiel. Comment
ces enfants cohabitent- ils ? Quels liens établissent-ils entre eux ?
Quel rôle le logement et ses différents espaces, à l’exemple de la
chambre, jouent-ils dans la définition des liens fraternels ? L’analyse,
menée à partir de l’observation de 32 foyers résidant à Paris et
appartenant aux classes moyennes et supérieures, fait apparaître une
diversité d’expériences, de liens et/ou de sentiments, en fonction de la
morphologie de la fratrie recomposée (fratrie de quasis, fratrie de
demis, fratrie mixte) et des temps et des espaces partagés. Elle
souligne surtout l’importance de la co-résidence dans la construction
des liens fraternels.
Les quatre textes suivants explorent d’autres types d’espaces familiaux,
et une partie d’entre eux d’autres familles. Céline Clément et Catherine
Bonvalet, tout d’abord, analysent les divers lieux fréquentés, passés et
présents, par des personnes ayant recomposé une famille et les valeurs
qui sont attachées à ces lieux. Comment, en d’autres termes, les
familles recomposées se construisent-elles en composant avec les lieux ?
L’article met en évidence la diversité des configurations résidentielles
tant dans le temps que dans l’espace, où la corésidence ne semble pas
constituer la seule norme. La notion d’« espaces de vie » permet de
mieux comprendre comment les liens et les lieux peuvent se confondre, se
rassembler mais aussi se distinguer et se concurrencer. Des histoires
constitutives de cette recomposition familiale peuvent se dérouler dans
d’autres lieux que la résidence principale. La résidence secondaire aura
souvent un rôle de rassemblement périodique et pourra assurer cette
construction d’histoire commune. Dans d’autres cas, elle représentera au
contraire un espace de division.
Catherine Bonvalet et Éva Lelièvre, ensuite, élargissent l’observation
des « lieux de la famille », au-delà du cas des familles recomposées, en
examinant les territoires familiaux d’une génération de Franciliens. Ce
travail utilise, comme le précédent, l’enquête Biographies et entourages
de l’INED. Il s’agit ici d’établir une sorte de carte théorique des
lieux de famille à partir des lieux d’origine et actuels de la parentèle,
et de confronter cette carte aux lieux réellement fréquentés par les
personnes enquêtées. Un des principaux résultats soulignés par cette
étude est la persistance de liens forts au sein d’une parenté étendue,
malgré le processus d’individualisation qui marque la période
contemporaine. Ces liens s’expriment à travers des lieux (familiaux) qui
peuvent être proches ou éloignés, concentrés ou à l’inverse très
dispersés.
Bertrand Réau, de son côté, utilise la spécificité de l’espace-temps des
vacances comme angle d’observation du fonctionnement familial. L’étude
est menée dans deux « villages de vacances », où dominent dans le
premier, des ménages de niveau aisé et dans le second, des ménages de
petites classes moyennes. La situation de rupture avec les habitudes
quotidiennes se retrouve sur les deux terrains où l’on peut observer un
certain niveau de relâchement des contraintes. Mais au-delà, les
différenciations sociales demeurent. Les membres des couches sociales
supérieures reproduisent dans leur espace de vacances la multi-activité
qu’ils développent dans leur vie quotidienne. Ils passent également dans
cet espace, plus encore que pendant le reste de l’année, plus de temps à
table que les familles de professions intermédiaires ou les familles
d’employés. L’espace du village de vacances semble donc reproduire, en
accentuant leur spécificité, les pratiques sociales du quotidien.
Enfin, Sébastien Boulay nous invite à découvrir les divers espaces de la
famille chez les bédouins maures de Mauritanie. Dans cette société de
nomades, la tente (structurée autour d’oppositions significatives)
constitue l’expression spatiale par excellence de la famille conjugale
et le domaine privilégié de la femme (mariée). Elle est intégrée à un
ensemble résidentiel plus large, le campement, qui inscrit la famille
conjugale dans un groupe de parenté également plus étendu. Ces deux
espaces se singularisent par leur précarité : la trajectoire sociale de
la tente est en effet calquée sur celle éphémère du couple marié ;
tandis que les déplacements exigés par le nomadisme pastoral obligent à
défaire et remonter fréquemment la tente familiale, c’està- dire aussi à
réinventer l’espace familial. Ces deux espaces précaires participent
ainsi à l’ancrage des familles bédouines dans l’espace, mais aussi dans
le temps.
Les espaces familiaux ne sont donc pas figés. Ils peuvent également être
diversement mobilisés selon les aléas de la vie. C’est ce qu’étudient,
dans les deux articles suivants, Isabelle Mallon d’une part et Cécile
Vignal d’autre part, à partir de deux cas de figure très différents.
Le premier concerne les espaces familiaux des personnes âgées vivant en
maison de retraite : quels sont les espaces dans lesquels se déploient
les liens familiaux lorsque l’on quitte son logement pour s’installer en
maison de retraite ? Isabelle Mallon identifie (et décrit) plusieurs
espaces familiaux, à la fois dans l’institution (la chambre, les espaces
collectifs : salons de réception, cafétéria…) et hors de l’institution (domiciles
des enfants, résidences secondaires, espaces publics urbains). Les
premiers permettent d’observer comment les personnes âgées articulent
leur double appartenance à la famille et à la maison de retraite. Les
seconds permettent à la personne âgée de continuer à être de son temps,
à participer au monde, mais également à être soi, reconnue par d’autres
que les personnels, comme un autre qu’une personne âgée ; c’est pourquoi
ces espaces « secondaires » constituent, dans les premiers temps de l’entrée
en maison de retraite, des espaces « centraux » pour l’équilibre de la
personne âgée.
Le deuxième cas observé a trait aux espaces familiaux de salariés (ouvriers
et techniciens) d’une usine de câbles électriques de Laon (Picardie),
confrontés à la fermeture de leur usine et à sa délocalisation dans une
ville (Sens, en Bourgogne) située à 200 km. En quoi les espaces
familiaux de ces salariés interviennent-ils dans leurs choix
professionnels (et résidentiels), consistant à opter pour le
licenciement (et la stabilité résidentielle) ou, au contraire, pour la
mutation (et la mobilité résidentielle) ? Quels effets ces choix
professionnels (et résidentiels) ont-ils en retour sur les espaces
familiaux de ces salariés et sur leurs rapports à ces espaces ? Cécile
Vignal distingue trois cas de figure, qui tous soulignent (parfois en
négatif) l’importance des espaces familiaux dans les choix
professionnels et résidentiels des salariés étudiés. En même temps, son
analyse montre que ces choix s’accompagnent de pratiques diverses de
ré-aménagement, à la fois des espaces et des liens familiaux.
Enfin le dernier texte, de Vincent Kaufmann et Éric Widmer, porte sur l’acquisition
de la « motilité » (ou capital de mobilité) au sein des familles. La
gestion des différents modes de déplacements et des différentes formes
de mobilité nécessite des compétences qui ne sont pas également
réparties socialement. Loin de correspondre à une compétence
individuelle, la motilité constitue une ressource qui s’acquiert au sein
de la socialisation familiale. Les auteurs interrogent ainsi la notion
de motilité comme analyseur des logiques d’action, arbitrages et
contraintes présidant à la fréquentation de l’espace. Différents types
de situations familiales (de fonctionnements familiaux et de contextes
de résidence des familles) sont analysés qui peuvent avoir un impact sur
le plus ou moins grand degré de motilité acquis par les enfants.
Au-delà des apports propres à chaque registre et terrain étudiés, tous
ces articles soulignent avec force l’importance des dimensions spatiales
de la famille et des espaces familiaux. Les liens familiaux, les
identités familiales se cristallisent, mais aussi se construisent, dans
des espaces multiples (qui débordent très largement l’espace du
logement) et variables dans le temps. Les espaces permettent de « faire
famille » – ou de se défaire de la famille. De surcroît, les espaces
familiaux peuvent constituer une ressource dans divers domaines de l’existence
des individus, à différents moments de leurs trajectoires.
Selon les types de familles, selon les catégories sociales, les lieux de
la famille peuvent toutefois revêtir des formes très contrastées. De
même, selon les individus, les familles et les milieux sociaux, les
rapports entretenus avec ces espaces et le rôle de ces espaces et de ces
rapports dans la construction des identités familiales et dans les
trajectoires sociales des individus peuvent être de nature différente.
Cette diversité, bien présente dans certains textes et à l’échelle plus
globale de ce dossier, gagnerait certainement à être davantage explorée
; d’abord par des observations plus nombreuses issues de pays étrangers
; ensuite, dans le cas français, par des travaux consacrés à d’autres
catégories de familles, à l’exemple des familles des milieux populaires.
De fait, si l’espace est ici souvent envisagé comme une « ressource
mobilisable », on peut imaginer qu’il ne le sera pas de la même façon en
fonction des situations sociales et spatiales (par exemple dans le cas
de la « cohabitation forcée », au domicile de leurs parents, des enfants
d’âge adulte des milieux populaires).
Enfin, si les articles réunis dans ce numéro présentent le grand intérêt
de montrer que les espaces de la famille sont pluriels et qu’ils ne se
limitent pas au logement (actuel), ils ne traitent sans doute pas
suffisamment des espaces familiaux non-résidentiels et des liens
familiaux qui se déploient et se construisent dans les espaces publics
urbains. Les familles n’ont donc probablement pas encore livré tous
leurs espaces.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
BONVALET, C. 1998. Famille-Logement. Identité statistique ou enjeu
politique ?,
Paris, INED, coll. « Dossiers et recherches », n° 72.
CHOMBART DE LAUWE, P.-H. 1959 et 1960. Famille et habitation,
Paris, CNRS.
PITROU, A. 1976. « Le soutien familial dans la société urbaine »,
Revue française de sociologie, vol. XVIII.
SINGLY, F. de 1998. Habitat et relations familiales, Paris,
Éditions du Plan construction et architecture, coll. « Recherches », n°
90.
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