Les nouvelles tribus
par Thomas Dawance architecte
https://youtu.be/hkS84-TYBYM
Cet atelier avait pour but d’aborder le mode
d’habitat spécifique des collectivités de jeunes et moins jeunes
particulièrement marginalisés, réunis sous le concept de nouvelles
tribus, qui se rassemblent pour développer des modes de vie alternatifs
ancrés dans la précarité relative de moyens qui les caractérisent.
-- Quelles sont ces nouvelles
tribus?
-- Quelle identité de goût partagent-elles, quel combat citoyen ou
politique les animent-elles? -- En quoi leur mode de vie est-il réellement porteur d’une
alternative?
Répondre à ces questions n’est pas simple tant les nouvelles
tribus peuvent couvrir différentes réalités et constructions
utopiques. La forme que prennent les nouvelles tribus peut varier en
fonction de plusieurs paramètres.
Elle varie d’abord en fonction du cadre physique dans lequel
les collectivités s’implantent, révélant différentes identités de
goût. Les nouvelles tribus
peuvent se développer en milieu urbain ; il s’agira alors par
exemple des squatters qui occupent collectivement et souvent illégalement
le patrimoine abandonné et les discontinuités urbaines... D’autres
collectivités décident, pour développer leur projet de vie
alternatif, de s’implanter dans le tissu néo-rural ou périurbain
européen (occupation de villages abandonnés, de vieux sites
industriels, de campings de campagne, etc.).
Enfin, les nouvelles tribus incluent aussi des collectivités qui
se définissent par leur nomadisme.
Entre villes et campagnes, des dizaines de milliers de «travellers»
sillonnent les routes européennes en camions, roulottes ou caravanes.
Ensuite, la forme que peuvent prendre les nouvelles tribus se définit
aussi en fonction des réalisations et objectifs que chaque collectivité
se donne. Selon nous, ces objectifs s’ancrent tous dans le cadre
d’une résistance active aux diverses dérives de la mondialisation
ainsi qu’à la marchandisation et à l’individualisation croissante
des rapports sociaux qui l’accompagnent.
Dans notre point sur l’art de vivre autrement des nouvelles
tribus, nous décrirons brièvement les différents niveaux de lutte et
tentatives de sortie du modèle unique imposé par le projet de
globalisation qui caractérise notre époque et qui est fondamentalement
contraire au respect de l’environnement et au développement de la
solidarité sociale.
Un droit au logement instantané et sur mesure
Mais abordons d’abord l’axe de résistance qui implique de
fait l’ensemble des nouvelles tribus, c’est-à-dire la résistance,
par l’occupation et l’appropriation directe de lieux de vie, aux
politiques immobilières inciviques (spéculation outrancière,
pourrissement volontaire, exploitation de la misère) tolérées, voir
encouragées, par le modèle néolibéral de marché contemporain. Les
uns se donnent de fait un accès réel et démocratique à la nature et
aux voies de communications routières européennes, les autres accèdent
au centre des villes inabordables pour leurs petites bourses, d’autres
encore cherchent avant tout à investir des espaces de grandes tailles
qui permettent une réelle appropriation collective .
Par l’occupation d’espaces vacants, les collectivités de
squatters, marginalisées du marché locatif du logement vu leur précarité
financière, se donnent des solutions plus qu’elles ne créent des
problèmes. Mais, juridiquement et politiquement, leur occupation reste
souvent pénalisée (expulsion de sites de campagne, d’aires de
parking routiers, ou de bâtiments investis).
Ceci confirme la tendance sociétaire à la marginalisation et à
l’incompréhension de jeunes générations en quête d’une plus
grande autonomie de pensée et d’action. Cette pénalisation révèle
aussi que la seule politique publique d’accès à un logement décent
pour tous est une politique d’assistanat dispensée selon des critères
statistiques définissant les individus par leurs attributs socio‑économiques.
Les nouvelles tribus réclament le droit de vivre autrement que dans
l'aliénation à une aide sociale comme seule perspective de vie.
Mais rappelons tout de même que, d’une part, nos politiques
sociales de logement sont structurellement incapables d’assurer un
logement décent à tous. En moyenne, le parc de logement social
s’appauvrit et les listes de demandes de relogement se multiplient. Et
que, d’autre part, le parc immobilier privé (comme public) se
structure en marché et l’habitat est un bien monnayable. Un logement
décent n’est à la portée que de celui qui sait se l’offrir. Le
droit de propriété est dans les faits prioritaire sur le droit au
logement, pourtant consacré universel et fondamental. En Belgique, les
politiques publiques de réquisition d’immeubles vides sont
inefficaces, les taxations sur les immeubles à l’abandon sont
rarement perçues. En conséquence,
aucune pression ne peut être appliquée ni sur les prix du marché
locatif, ni sur les propriétaires privés inciviques qui négligent
leur bien, ou le détériorent volontairement, les règles de la spéculation
foncière les y encourageant.
Les nouvelles tribus, dans l’occupation d’espaces et
d’immeubles privés ou publics vides, expriment leur refus de se
soumettre à ce sombre tableau. Sans
attendre ni autorisation ni trop de moyens, ils imposent de fait ce
refus au propriétaire par l’occupation de ses biens mais souvent
aussi à la société entière en dénonçant publiquement
l’irresponsabilité civique générale et particulière des propriétaires.
L’occupation illégale, acte de désobéissance civile,
encourage une réappropriation des espaces vides du territoire où
développer de nouveaux terrains collectifs et de nouvelles pratiques
sociales plus solidaires. Par des actions médiatiques, les collectivités
d’occupants révèlent parfois de façon emblématique le paradoxe
d’un projet de société oscillant entre marché et compassion pour
les plus faibles, qui rend impossible une politique publique de
discrimination positive et volontaire en matière de droit au logement
et de gestion raisonnée du tissu bâti.
L’art de vivre autrement des nouvelles tribus
Les nouvelles tribus développent toutes une conception atypique
de l’habitat, ancrée dans la précarité de moyens et la volonté de
s’approprier pleinement leur cadre de vie en y articulant leurs
aspirations individuelles et collectives.
Selon les collectivités, ces aspirations peuvent être de
diverses natures mais chaque collectivité à sa manière aspire à
transcender, avec plus ou moins d’engagement et de radicalité,
certains dysfonctionnements ou incohérences de notre modèle de développement
socio‑économique occidental. Les uns sont investis dans la création
d’un espace d’échange et d’expression culturels au sein de leur
habitat (concert, ateliers, décoration...), les autres cherchent à développer
un respect particulier de leur cadre de vie (recyclage, récupération,
compostage...), à développer des systèmes d’échanges locaux plus
ou moins formels (échange de compétences, trocs, prêts...), à manger
à plusieurs, à sélectionner leur alimentation ou
parfois à la cultiver eux-mêmes. D’autres encore cherchent à
recréer un lien social en animant la vie associative locale (conférences,
réunions, tables d’hôtes, expositions...) et deviennent en quelque
sorte des laboratoires de la citoyenneté active, des écoles d’une
certaine démocratie.
Les nouvelles tribus questionnent la raison d'une organisation de
l'existence sans rapport réel avec la vie sociale, non pas par discours
et manifestations, mais en refusant énergiquement l'aliénation dans le
travail, la détérioration de leur personnalité, la sclérose des
institutions. Dans leur résistance journalière à la raison économique,
ils font surgir des questions et des réponses, des intentions et des
projets, et développent dans les faits une politique de la vie
quotidienne qui se fonde sur la liberté d'agir et la possibilité de se
créer une organisation pour soi et pour les autres qui favorise
l'autonomie? Ils participent à une véritable mutation culturelle,
morale et politique, pour eux-mêmes et peut-être pour la société
entière.
Voilà en quelques mots les enjeux qui furent débattus dans le
cadre de l’atelier sur les nouvelles tribus. Ces enjeux correspondent
aux préoccupations anciennes et actuelles d’associations partie
prenante au débat de l’atelier, tels «Habitat et Participation»
ayant déjà supporté, accompagné ou simplement témoigné de
plusieurs gestations communautaires de ce type depuis les années 70, ou
«City & Shelter» qui tente de mettre en réseau ce genre de
collectivités.
Thomas Dawance
1. Ce texte est le compte-rendu de l’atelier sur les nouvelles
tribus qui s’est tenu dans le cadre du colloque du 20/10/2000 à
Louvain-la-Neuve.
2. L’Allemagne accueille sur son territoire trois véritables villages
de camions, dénommés « Wagenburgs ».
3. La location, souvent trop chère et trop stricte, ne permet pas aux
locataires de développer une appropriation collective de leur lieu de
vie.
4. P. Grell, A. Wery, Héros obscurs de la précarité - Des
sans-travail se racontent,des sociologues analysent, Ed.
Harmattan, Paris 1993, page 164
4.
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