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https://www.habiter-autrement.org/ > Squat
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Manifeste
d'un squat
Source: http://squat.net/fr/news/manifeste-c020401.html
RéAPPROPRIATION de l'ESPACE
L'espace, c'est fichtrement important. Essentiel
pour se loger : un toit et quatre murs pour s'abriter, un sol pour poser
son lit, ses meubles... Essentiel pour mener une activité : de la place
pour un bureau ou un chevalet, de la place comme matériau de base, préalable
à toute utilisation ou entrepôt de matériel plus sophistiqué, de la
place comme support de toute création, de tout projet.
On mure des espaces vides ! D'un côté il y a des tas de
personnes qui veulent survivre ou vivre mieux, créer ou agir, et pour
qui l'espace est ultra-précieux, des tas d'assos qui languissent sur la
liste d'attente de la Maison des Associations, des tas d'artistes sans
atelier, de groupes sans local de répète, de troupes sans planches. De
l'autre, il y a des tas d'espaces, abandonnés, évidés, barricadés,
qui pourrissent lentement derrière les bas-côtés. Le pire, c'est que
leur vacuité est soigneusement entretenue et protégée ! Afin de
satisfaire les logiques pas franchement humaines du marché (spéculation,
lointains projets pharaoniques...) ou des grosses machines étatiques (hésitations,
lenteurs de l'administration...). Donc voilà, le paradoxe est trop gros
pour que l'on ait des scrupules à contrarier ces logiques et à leur préférer
des maisons pleines de gens, de projets et d'étincelles.
L'espace, mort ou vif ? Il y a des béances au milieu des
villes... Des arpents silencieux, endormis ou défunts, des cadavres.
Des mètres et des mètres carrés que les décideurs économiques ou
politiques ont laissés de côté. Nous nous glissons dans ces vides
intermédiaires, interstitiels, nous les animons tant qu'ils ne sont pas
réintégrés dans les rouages de notre société, et tant que nous ne
trouverons pas notre zone d'autonomie permanente. Nous maintenons en vie
à la fois des envies, des canevas, des idées, et des espaces. Nous
permettons à nos voisin-e-s d'ouvrir leurs volets non plus sur des
friches, mais sur des visages, des voix et des couleurs.
L'espace habité à fond. Pas d'état des lieux dans un squat.
Aucune objection à l'abattage de cloisons, à la pose de rampes, d'éoliennes,
de gargouilles, de planchers vallonnés, de cours d'eau suspendus et de
corridors en spirale. Finis les édifices identiques, les dimensions
standard, les règles anguleuses de lointains propriétaires, vive les
maisons qui suintent et qui bourdonnent, les maisons façonnées par
ceux et celles qui les vivent. Habiter ne veut plus dire avoir juste un
cadre pour nos préoccupations routinières et nos repos journaliers,
mais répandre dans notre environnement immédiat le contenu fastueux de
nos imaginaires, de nos cœurs et de nos caractères. Pour que ce droit
ne soit plus réservé aux gens qui ont assez de briques dans leur
bourse pour devenir proprios. Et pour que la ville entière devienne un
musée habité.
RéAPPROPRIATION DU TEMPS
Ne pas payer de loyer.
Le loyer engloutit une fraction énorme de nos dépenses, de nos
revenus, de notre temps. Nous refusons d'abandonner une telle part
d'existence à des gens qui vivent en spéculant. Nous refusons de payer
pour un droit qui devrait être inconditionnel, le droit au logement, le
droit à l'espace, surtout dans une ville qui regorge de bâtiments
vides.
La société marchande : c'est elle que nous vantent les gens
au-dessus de nous, les gens qui nous promettent la réalisation de soi
dans le travail et le bonheur dans la consommation, les gens qui ne
voient de meilleur monde que celui des courses à la croissance,
aveugles et effrénées, où l'on produit pour que d'autres puissent
consommer, et où l'on consomme pour que d'autres puissent avoir de quoi
produire. Comment peut-on imaginer se réaliser pleinement dans un
travail soumis aux lois de supérieurs hiérarchiques et aux objectifs
marchands, peu variés, de rentabilité, roublardise et compétition,
une activité qui monopolise notre énergie 7 heures de nos journées et
40 années de nos vies, et qui au bout du compte nous laisse pantois
devant la télé ? Comment peut-on trouver le bonheur dans la
consommation passive de gadgets et de loisirs pré-mâchés, dans cette
hébétude un peu boulimique, un peu toxicomane, devant les spectacles
qu'on nous déverse et les plaisirs de surface que la pub omniprésente
veut nous faire croire essentiels ? Comment peut-on prendre pour modèle
une société qui nous vend une bonne part d'aliénation au boulot et
une bonne part d'aliénation chez soi quand on rentre, et qui, pour
faire fonctionner tout ça, dépose entre ses pieds d'immenses dégâts
humains et écologiques, notamment au Tiers-Monde ? Non, nous ne sommes
pas intéressé-e-s par le schéma travail-consommation, ni ne voulons
cautionner l'essorage du Sud et de la planète entière, aussi nous
entrerons le moins possible dans le système marchand.
La récup. Nous restons ébahi-e-s devant les monceaux de surplus
que l'on préfère détruire ou cadenasser plutôt que de les partager.
Notre société veut nous convaincre qu'il faut produire et consommer
moult biens, alors qu'elle croule déjà sous les objets et qu'il suffit
de tendre la main dans une décharge pour trouver de quoi vivre dans un
certain confort. Nous préférons récupérer ce que cette société
gaspille, les fruits que les chalands jettent parce qu'ils ne sont pas
assez lisses, les meubles que les ménager-e-s jettent parce qu'il
faudrait les réparer d'un clou, les vêtements que les minet-te-s
jettent parce qu'ils ne sont plus à la mode, le pain de la veille et
les espaces abandonnés. La récup est pour nous un moyen de se désengager
des fers et des frénésies du système marchand.
Travailler moins. Nous voilà en définitive avec moins de
revenus à trouver, moins de temps laissé au travail rémunéré. Nous
voilà riches. Parce que le luxe n'est pas l'argent mais le temps, nous
voilà riches, riches parce que beaucoup plus libres de choisir ce que
nous faisons des moments de nos vies, riches de pouvoir davantage en déterminer
le sens. Riches de journées décalées, déjantées, savourées. Riches
de pouvoir emboîter le pas à nos envies, de pouvoir être disponibles
pour les gens autour, de pouvoir engraisser nos matinées, de pouvoir
soudainement dédier des jours et des nuits à d'insolites ou passionnées
constructions, de pouvoir partir humer l'air de la montagne d'à côté
quand le besoin s'en fait sentir, de pouvoir partager ses journées
entre l'apprentissage de la plomberie et de savantissimes lectures...
L'art de vivre n'est plus réservé aux aristocrates.
Ne pas se plier aux lois de l'économie. Comment vivre avec moins
de 1000 francs par mois ? Squatter, faire de la récup, vivre à
plusieurs (chez nous, un seul four, un seul téléphone, un seul
ordinateur, une seule perceuse pour 10, alors que les locataires de
studios doivent s'en acheter un chacun-e). Nous voilà davantage libéré-e-s
de la nécessité du gain. Enfin nous pouvons organiser une bonne partie
de notre existence en fonction d'autres buts et d'autres contraintes que
celles de l'économie de marché. Plus besoin de nous demander si ce que
nous aimons faire est rentable. L'argent n'est plus un obstacle pour
tout ce qui ne le concerne pas : les individus ou collectifs motivés
par des objectifs sociaux, culturels ou artistiques plus que pécuniaires
peuvent avoir un local pour appuyer leurs projets même s'ils sont peu
fortunés, s'ils ne sont pas encore reconnus par les institutions ou ne
cherchent pas à l'être (et donc ne touchent pas de subventions).
<p> Maîtriser son temps. Nous squattons, nous avons du
temps, nous sommes maîtres de son organisation. Nous apprenons à nous
dynamiser sans qu'un horaire de boulot nous y oblige. Nous apprenons à
prendre du repos quand il est nécessaire et non pas quand le calendrier
des vacances l'a arrêté. Nous apprenons à connaître et à respecter
nos priorités et nos limites, nous pouvons les explorer d'autant mieux
qu'aucune autorité ne se charge pour nous de les fixer. La liberté
permet la connaissance, la conscience et, quand il le faut, l'adoption
d'une discipline personnelle, choisie et comprise. Nous devenons
autonomes.
Choisis ta précarité, camarade. On associe le squat à la précarité
matérielle, à celle de l'illégalité, à celle du temporaire. Mais la
diminution du confort et de la sécurité dans un squat n'est pas forcément
aussi grande et aussi insupportable qu'on veut le faire croire. Et puis,
nous préférons nous détacher de ces besoins-là pour que nos vies
gagnent en autonomie, en liberté, en sens, en intensité. Quitte à
choisir, nous préférons la précarité matérielle et la précarité
de l'instabilité à celles d'une existence morne, routinière, à peine
vécue.
UNE MAISON FRANCHE
Hors circuit. Le squat a déraillé des sillons qui aiguillonnent
ce monde. Il n'est pas un maillon de la chaîne étatique, et n'a pas
grand-chose à faire de ses directives, de ses subventions, de ses
normes. Il n'est pas un maillon de la chaîne marchande, et les chants
de la rentabilité peuvent aller en envoûter d'autres. Aucune autre
logique, aucune autre priorité ne gouverne le lieu que celles qui
paraissent importantes à ses acteurs et ses actrices. Attention, maison
incontrôlée.
Hors normes. Tel modèle social à respecter, parce que repères,
clarté, au moins on s'y retrouve ? Tel schéma d'organisation à
appliquer, parce que efficacité, puissance, et puis c'est l'économiste
qui l'a dit ? Eh ben fi ! Fi ! Nous n'avons pas envie de reproduire bêtement
ce qui nous entoure, surtout quand ce qui nous entoure nous paraît loin
d'être la panacée. Pourquoi on s'y retrouverait pas avec des modèles
comme de la poix et des schémas en en pâte à modeler ? Vous avez
essayé, vous ? Nous on essaye. Pourquoi on s'y retrouverait pas sans hiérarchie
? Sans spécialisation ? Sans coercition ? Sans profit ? Nous on essaye
: mettre en place entre nous des rapports sans domination et sans
oppression, tenter le consensus, le prix libre, la gratuité...
Hors politicardises. En squattant nous faisons de la politique,
et nous sommes ravi-e-s de pouvoir le dire : comme quoi on peut se
battre pour des idées sans jouer au politicien ni adhérer à quoi que
ce soit. Si nous changerons quelque chose à ce monde ce sera d'abord
nos quotidiens, nos propres existences, voilà une étape à l'échelle
de tout-un-chacun, peut-être pas si anodine, et trop souvent brûlée.
Nous n'avons pas envie de laisser la politique aux pupitres et aux
estrades, notre manière de la dire est de la vivre, de la confronter à
la pratique. Nous ôtons le pouvoir soporifique de la politique en la
rendant concrète : notre maison est le terrain d'expérience de nos
utopies.
Hors autorité.
Il n'y a aucune raison pour que les décisions
concernant la vie du squat soient prises par une partie seulement des
gens qui l'animent. Aucune raison pour que certain-e-s imposent quoi que
ce soit à d'autres, aucune raison pour que certain-e-s fassent des
choses contre leur gré et sans compréhension. Aucune raison de se
surveiller et de se punir, aucune raison de ne pas se dire les problèmes
en face et chercher ensemble une solution. Aucune raison d'en considérer
certain-e-s responsables et d'autres non, aucune raison d'écouter
l'avis de l'un-e moins que l'avis de l'autre, aucune raison de ne pas se
faire confiance. Aucune raison de décréter une hiérarchie entre
personnes embarquées sur le même bateau, pas besoin de fouet dans un
groupe qui fait ce qu'il fait parce qu'il l'a choisi de bout en bout.
Chez nous, pas de chef, pas de président, pas de comité directeur, pas
de conseil des sages, pas de leader, pas de maître spirituel, pas de
pion, pas de police interne. C'est l'autogestion.
Hors-la-loi. Légalité ou légitimité ?
Il y en a pour qui la
loi c'est toujours la loi, la loi c'est la Bible. Tu as fais l'ENA ? Tu
traînes au sommet de la pyramide sociale ? Tu bois des cocktails avec
ceux et celles qui chatouillent les enjeux planétaires ? Alors tu as le
droit de décider de ce qui est bon pour les 60 millions de personnes
dont tu n'as jamais vu le visage, et "être citoyen" c'est écouter
tes recommandations armées sans réfléchir. Bon ben nous on est pas
d'accord. Il y a des lois absurdes, lointaines, que nous nous permettons
d'enfreindre, surtout quand nous voyons que concrètement, en agissant
ainsi, nous ne faisons de mal à personne. Nous prenons le droit de
vivre de manière imprévue sans que ça ne coûte ou ne pèse à
quiconque sauf à ceux et celles qui veulent nous prévoir. On pourrait
appeler ça de la désobéissance civile.
Hors propriété ?
Pas tout-à-fait : nous sommes d'accord quand
on nous dit que la propriété donne à l'humain un minimum d'intimité
et de stabilité. Mais nous trouvons qu'elle se justifie seulement si le
propriétaire se sert de son bien, s'il en a besoin, s'il en fait
quelque chose : c'est ce que des têtes ont appelé la "propriété
d'usage". Et c'est selon ce principe-là que nous nous permettons
de nous sentir chez nous dans les maisons que nous occupons, habitons,
animons, entretenons, décorons. C'est aussi selon ce principe-là que
nous ne nous permettons pas de squatter des bâtiments dont
l'utilisation, même périodique, est manifeste, par exemple des
appartements meublés. Par contre, nous ne respectons pas la propriété
dont on abuse, celle qui spécule, celle qui ne représente pour le
proprio qu'un bout de papier, et pour les plus démuni-e-s une insulte.
On étale devant nous des objets dont nous aurions besoin, dont nous
ferions des merveilles, et on invoque la propriété privée pour nous
interdire d'y toucher puis les laisser pourrir sous nos yeux médusés.
Ca respire l'effronterie, et ça nous enrage. Voilà un exemple
d'attitudes que nous voulons ne pas reproduire chez nous, ce rapport
avide, stratège, comptabilisateur, face aux biens matériels, cette
accumulation insensée, apeurée, cette insensibilité aux besoins des
autres et du moment.
Hors expertitude.
Alors nous, on bidouille. On fait plein de
choses par-ci par-là, on bricole, on organise des concerts, on dessine
des affiches, on prépare notre défense juridique, on récupère, on aménage,
on repeint, on s'occupe d'un resto végétarien, d'une petite bibliothèque,
d'une zone de gratuité, d'un labo-photo,... On n'y connaît pas
grand-chose, on n'est pas des spécialistes, et ça nous convient, on
fait ce qu'on peut avec ce qu'on a. Do it yourself. C'est pas léché,
c'est pas parfait, mais on s'en fout, au moins ça vit, et nos
maladresses donnent du cœur à nos constructions. On pourrait chercher
la spécialisation, dans le groupe, si nos priorités étaient efficacité,
rentabilité, productivité. En plus les experts disent que pour souder
un groupe il faut plein d'experts qui ne connaissent que leur domaine et
donc dépendent des autres pour le reste. Mais nous ne voulons pas être
réduit-e-s à une fonction chacun-e, nous trouvons ça malsain d'isoler
une seule de nos aptitudes (d'oublier les autres), et d'en user jusqu'à
la limaille, d'en raboter même l'intérêt. Nous squattons justement
pour avoir la possibilité d'explorer la multitude des ingrédients de
nos petites personnes. Nous trouvons plus riche de partager nos
savoirs-faire, d'apprendre sans cesse, plutôt que d'en faire des spécialités
en chiens de faïence. Enfin nous pensons qu'il vaut mieux souder notre
groupe par des vrais choix et envies plutôt que par des liens de dépendance.
Nous ne savons pas si les experts sont utiles à une société, mais
nous savons que nous n'en voulons pas comme modèle universel dans un
monde déjà sur-expertisé.
Hors cadre. Mais vous y croyez vraiment, à tout ce bla-bla ?
A
tout ce que vous venez de lire ? Vous croyez vraiment que nous arrivons
à mettre toutes ces belles idées en pratique ? Parce que nous, on en
doute. D'un côté il y a la théorie, de l'autre la pratique, et
pouvoir se vanter de faire d'emblée coïncider les deux, ça nous paraît
douteux. Ce manifeste exprime avant tout les buts que nous nous sommes
fixé-e-s, qui sait si nous les atteindrons jamais. Au moins nous aurons
essayé, et si nous n'arrivons pas à les atteindre, nous saurons d'expérience
pourquoi., où sont les terrains glissants. Nos idées donnent un cadre,
mais la réalité nous amènera sans doute à partir naviguer à l'extérieur,
à interroger ce cadre, à le remettre en question, et, à notre retour,
à le comprendre différemment, peut-être le redessiner, peut-être le
modérer, peut-être le radicaliser. Les cadres théoriques sont faits
pour être tentés, pas gobés. Quand ils sont fixes ils deviennent
tristes. Quand ils se font mouvants, bouillants, tourbillonnants,
effervescents, alors il faut se changer en apprenti-sorcier-e, et
tester, goûter, tâtonner, progresser. A l'aventure.
Hors bord.
Attention : ce "manifeste" n'est pas le
manifeste d'un éventuel mouvement des squats de France ou d'Europe ou
d'Eurasie métropolitaine. Pas plus qu'il ne prétend le devenir. Il est
le manifeste de certain-e-s individu-e-s, d'un certain squat, planté
dans un certain contexte, dans un certain quartier, à un certain
moment, avec un certain passé, un certain groupe d'habitant-e-s, une
certaine atmosphère... L'échelle d'un squat est toute petite, chacun
est un îlot d'autonomie avec son histoire et son environnement. C'est
cette échelle toute humaine qui sabote les généralisations et qui
fait une belle part de la richesse de ce monde parallèle.
anti-copyright grenoble 2001
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Contact pour HA: lreyam@gmail.com
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