17-11-2023
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L'utopie de l'économie sociale
quelle histoire pour quel avenir
COLLOQUE
MICHEL-MARIE DERRION
(1803 - 1850)
(Lyon 8-9-10 juin 2000)
Actes du colloque)
Cette initiative
a été soutenue par:
-
l'Union Régionale des SCOP de Rhône-Alpes
-
la Mairie du premier arrondissement de Lyon
-
le Centre social de la Condition des soies
-
le Centre de sociologie des représentations
et pratiques culturelles (Université de Grenoble)
-
le Centre Walras (Histoire de la pensée économique,
Université Lyon 2, CNRS)
-
l’Atelier de Création Libertaire
-
Latitude (coopérative lyonnaise de
cartographie)
" Il n'y a qu'à la Croix-Rousse que peuvent éclore des œuvres semblables ".
Justin Godart
" Nulle part plus que
dans cette ville (Lyon) il n'y eut de rêveurs utopistes.
Nulle part le cœur blessé, brisé, ne chercha plus inquiétant
des solutions nouvelles aux problèmes des destinées humaines "
" Lyon, seul précédent de Fourier "
Michelet
I. Lyon, creuset pour une économie
alternative au début du XIXe siècle, les fouriéristes et le mouvement pré-coopératif
Il faut être un observateur
averti et curieux pour relever la tête au début de la montée de
la Grande-Côte et remarquer une plaque où on peut lire :
" Ici fut fondée en 1835 par Michel Derrion et Joseph Reynier la première coopérative française de consommation Le
commerce véridique et social. ".
De Joseph Reynier un ancien tisseur croix-roussien qui traversa
presque d'un bout à l'autre le XIXe siècle, on peut
encore lire dans des bibliothèques ses Mémoires publiées après
sa mort en 1898 où il retraça sa vie qui le mena du
saint-simonisme au fouriérisme, de l'engagement personnel dans la
naissance du mutualisme à la franc-maçonnerie.
C'est dans ces Mémoires que des historiens lyonnais comme Justin Godart ont retrouvé les traces d’" un certain Michel "
avec qui l'auteur avait étroitement collaboré pour l'ouverture
de la première coopérative française de consommation. Jean
Gaumont nous fera part de ses recherches approfondies sur cette
coopérative et celui qui l'avait conçue, Michel-Marie Derrion
dans son Histoire générale de la coopération en France (Editée
par la Fédération nationale des coopératives de consommation en
1924).
Fils d'un négociant et fabricant d'étoffes de soie de " mœurs
libres ", Michel Derrion naît en 1803 rue du Bât
d'Argent. Assez tôt il s'intéresse aux questions sociales en
participant d'abord à un groupe saint-simonien puis vers 1834
passera au fouriérisme. Fourier vécut à Lyon plusieurs années
et semble avoir été très fortement influencé par l'atmosphère
industrielle et intellectuelle de la ville.
De nombreux enquêteurs ne manqueront pas de s'étonner de la perméabilité
des esprits ouvriers lyonnais aux idées et analyses abstraites.
Si des années plus tard (en 1841), le public lyonnais se presse
aux conférences de Victor Considérant venu exposer la doctrine
de Fourier, celle-ci est connue par un grand nombre d'ouvriers dès
1833, année où Adrien Berbrugger expose les vues de Fourier sur
l'association. Derrion collaborera, entre autres, au journal fouriériste
lyonnais L'Indicateur, dans lequel sera annoncée en 1834 la
publication de sa plaquette " Constitution de
l'industrie et organisation pacifique du commerce et du travail ou
la tentative d'un fabricant de Lyon, pour terminer d'une manière
définitive la tourmente sociale ". Celle-ci était
vendue à 1 Franc " au profit du premier fonds social
gratuit " en vue de la création du Commerce véridique
et social, dont l'auteur explique les objectifs et les moyens pour
faire " un premier pas vers l'avenir ". " Pour
créer cet avenir si beau, où le producteur sera de droit associé
et intéressé d'une manière de plus en plus équitable dans le bénéfice
résultant de la vente des produits qu'il aura fabriqué ou cultivé "
(L'indicateur, 15 février 1835).
En 1835 une épicerie " coopérative " voit le
jour montée de la Grande-Côte à la Croix-Rousse ; les années
suivantes cinq autres magasins s'ouvriront sur le plateau, puis
dans d'autres quartiers de la ville. L’expérience durera trois
ans avant que des tracasseries policières et probablement " la
jalousie des commerçants lyonnais " obligent Derrion,
ruiné, à quitter Lyon. Il se rend d'abord à Paris où il signe
en 1840 un appel pour une souscription en faveur de l'établissement
d'un premier phalanstère, puis il participe au lancement de
l'Union industrielle afin de fonder une colonie sociétaire au Brésil.
Parti pour ce pays pour réaliser ce projet, il y vivra les dix
dernières années de sa vie. Si des discussions internes au
groupe promoteur de cette initiative firent échouer l'entreprise,
sa " foi phalanstérienne ne l'abandonna jamais ".
Il continuera de faire des abonnements pour le périodique Démocratie
pacifique et prendra régulièrement la parole dans des causeries
pour parler de Fourrier. Il mourra à Rio de Janeiro le 12 mars
1850.
Cette première expérience coopérative ne fut pas sans lendemain
à Lyon. L'expérience essaima pour donner lieu à de multiples
associations dont celle des Travailleurs Unis, dont l'activité était
considérable – des bons d'achats furent mêmes émis et circulèrent
sur les pentes et le plateau – avant d'être interdite sous
l'empire (1851).
L’an 2000 coïncide avec le cent cinquantième anniversaire de
la disparition de Michel Derrion. Alors que des quartiers de Lyon
sont reconnus patrimoine mondial pour leur architecture, il nous
semble qu'il nous faut aussi œuvrer pour maintenir vivante la mémoire
de ces hommes et ces femmes ayant pris à cœur la transformation
de la société afin que le travail et les richesses soient répartis
le plus équitablement possible.
Derrion, comme les nombreux réformateurs qui ont arpenté la
colline de la Croix-Rousse et sillonné les rues de Lyon au XIXe
siècle, par leur esprit solidaire et leur vision " utopique "
de l'avenir social, ont contribué à forger cet imaginaire
collectif qui, cent cinquante ans après, continue à nous pousser
et à rechercher les moyens de transformer les relations humaines,
particulièrement dans le monde de la production et de la
consommation.
L'" économie sociale " aujourd'hui peut
compter sur une longue et riche histoire qui s'est développée
ces deux derniers siècles autour du mutualisme, du coopérativisme
et de la vie associative. A l'origine de ces expériences on
trouve toujours quelques-uns des principes que les réformateurs
sociaux du XIXe siècle répandirent, non seulement à
Lyon, mais dans le monde entier. De Lyon à Paris, puis à Rio de Janeiro, Michel Derrion fut l'un de ces " apôtres "
oubliés de cette nouvelle " économie sociale.
Lui rendre hommage ne ressort pas seulement de ce " devoir
de la mémoire " mais nous servira à nous poser les
problèmes sociaux d'aujourdd'hui, comme Derrion l'a fait à son
époque.
À l'aube du XXIe siècle, la richesse économique de
nombreux pays ne peut pas cacher la misère dans laquelle vivent
des milliards de personnes par le monde, et la précarité de
millions d'habitants des pays riches. La question de la production
et de la consommation, et donc de la répartition de la richesse,
nous paraît très largement irrésolue. Les initiatives mises en
œuvre au sein de l'économie sociale et, plus récemment d'une économie
" alternative et solidaire " tentent
d'apporter des réponses pratiques et théoriques à cette problématique
à travers des multiples et diverse expériences où on retrouve,
ici et là, les traces de cette passion utopique des réformateurs
du XIXe siècle.
Fidèle à ses illustres ancêtres, la Croix-Rousse se présente
toujours comme une " ruche alternative " où
s'élaborent des activités économiques en dissidence avec le modèle
dominant. Les recherches, certainement non exhaustives, y dénombrent
pas moins d'une centaine d'initiatives depuis le début des années
soixante-dix. Certaines, tout comme le Commerce véridique et
social en son temps, périclitent rapidement, d'autres ont pu voir
leur importance dépasser le strict cadre croix-roussien – tel
le Système d'Echange Local de la Croix-Rousse, un des premiers
SEL urbains en France et qui a joué un rôle de premier plan dans
le développement des SEL.
Enfin, si améliorer les conditions matérielles et culturelles de
l'ensemble des hommes et des femmes du monde entier relève
toujours de l'utopie, ne faut-il pas continuer à relever ce défi ?
II. Trois journées pour se
souvenir, débattre,
réfléchir au futur de l'économie alternative à la Croix-Rousse et ailleurs.
Nous nous proposons donc
d'organiser pour le mois de juin de l'an 2000 des journées d'études
pou rappeler l’œuvre de Michel Derrion et l'expérience de
cette première coopérative de consommation française née à
Lyon, mais aussi nous interroger sur l'utopie de modalités d'échange
et de production offrant une autre voix que celle du capitalisme
sauvage, son histoire, son présent et son avenir.
Cela pourra se concrétiser entre autres choses, par la tenue d'un
colloque rassemblant des chercheurs et des acteurs pouvant
apporter témoignages, réflexions et analyses.
Ces journées d'étude pourraient se présenter de la manière
suivante :
Première journée
Les temps de l'utopie : les balbutiements de la
coopération
Centrer cette première journée
sur le cadre lyonnais se justifie par le fait qu'au moins jusqu'au
milieu du XIXe siècle, le mouvement ouvrier lyonnais
est un des mieux organisé du pays et a été porteur
d'initiatives ayant fait école. Alors que l'on situe
classiquement l'origine de l'économie sociale en Angleterre à
Rochdale (en 1844), plus de dix ans auparavant à Lyon s'élaboraient
les fondements du mouvement coopératif. Cette journée permettra,
outre de présenter Derrion, Reynier, le Commerce Véridique et
Social et l'histoire très méconnue des colonies fouriéristes en
Amérique Latine, de revenir sur l'influence lyonnaise subie par
Fourier, les mouvements saint-simoniens et fouriéristes à Lyon
ainsi que sur l'essaimage de l'économie sociale dans la ville (le
mouvement coopératif au cours du XIXe et du XXe siècle).
A partir du rappel de l'histoire lyonnaise, peut être présentée
et mise en perspective l'histoire de l'utopie coopérative, ainsi
que ses nombreuses réalisations.
Intervenants :
-
P Rolland (historien,
coopérative Latitude), " La Croix-Rousse en 1835 "
-
P Videlier (historien,
CNRS, Lyon), " Joseph-François L'Ange et l'utopie
sociale "
-
D. Bayon (économiste),
M. Pucciarelli (sociologue, éditeur), " La
pensée et l'action de Michel Derrion et des premiers coopérateurs
lyonnais "
-
J-P Potier (professeur
d'économie, Lyon), " Le Saint-Simonisme à Lyon "
-
L. Frobert (économiste,
CNRS), " P.E. Lemontey et la critique de la division
du travail "
-
C Guttler (universitaire,
Brésil), J Sylva et A. Gonzales (militants
associatifs, Brésil), " Les colonies utopiques au
Brésil "
-
F Espagne (ancien
secrétaire général de la CG-SCOP), " "Histoire,
problème et projet de la coopération ouvrière de production
en France "
Deuxième journée
L'économie sociale aujourd'hui – l'irruption de l'économie
solidaire
Si l'histoire de l'économie
sociale fut mouvementée, jalonnée de censures et
d'interdictions, les mouvements mutualistes et coopératifs représentent
aujourd'hui une belle réussite, dont le volume d'activité se
chiffre en centaine de milliards de francs ; elle compte des
représentants dans le monde entier. De ce point de vue les
utopies de Derrion, Reynier et des fouriéristes lyonnais ont fécondé
des organisations tout à fait " efficaces "
du strict point de vue de la rationalité économique la plus
orthodoxe. Si l'institutionnalisation a pris le pas sur l'utopie,
quelles sont aujourd'hui les forces de l'économie sociale ?
Quelle part celle-ci prend-elle, ou pourrait-elle prendre dans le
soutien aux initiatives économiques nouvelles, renouant avec
l'utopie de ses fondateurs ?
Intervenants :
-
M. Lulek (Réseau R.E.PA.S), " La
coopérative Ambiance Bois "
-
X. Garnerin (Lyon), " La
trajectoire de la coopérative Latitude "
-
Un représentant du Conseil National des Régies
de Quartier, " L'expérience
des régies de quartier "
-
J. M. Fereira Carvalho (Centre
de recherche en sociologie, Portugal), " L'économie
sociale dans le sud de l'Europe "
-
B. Poncin (Oxalis), " La
combinaison de l'activité en milieu rural "
-
M. Bourdelou (Nouvelle Economie
Fraternelle), " L'argent
autrement: une banque solidaire "
-
Un représentant de la coopérative Mondragon, pays basque
-
D. Vallat et C. Ferraton (économistes,
Lyon), " Les expériences de finance solidaire "
-
R. Schlutter (secrétaire
général du C.E.C.O.P, - Confédération Européenne des Coopératives
de Production et de travail associé), " L'économie
sociale européenne entre histoire et présent "
Troisième journée
Les débats pour demain : économie sociale, économie
communautaire, tiers secteur ?
Des initiatives visant à
instaurer de nouvelles modalités de production et d'échange de
biens et services se sont développées ces dernières années.
Celles-ci sont nombreuses et variées – certaines entendent se
passer de monnaie (Réseaux d'Echange de savoirs, banques du Temps
italiennes), d'autres redéfinissent une monnaie adaptée à leurs
objectifs (l'ensemble des " monnaies sociales "),
d'autres enfin s'intègrent tant bien que mal dans des cadres
institutionnels existant (association loi 1901, coopératives).
Alors qu'elles n'en ont souvent pas connaissance ces activités
renouent avec de très anciennes questions du mouvement ouvrier et
les premières tentatives visant à instaurer une économie
sociale au XIXe siècle. Cette journée peut ainsi
permettre d'offrir, suite à l'ancrage historique donné précédemment,
un éclairage neuf à ces expériences (d'où, peut-être, de
nouvelles perspectives ?). Elle peut également créer un
espace de débat à propos d'une première évaluation au niveau
institutionnel de l'ampleur de ces initiatives et des premières
propositions pour l'avenir (Voir le rapport d'Alain Lipietz remis
à Martine Aubry sur " L'opportunité d'un nouveau type
de société à vocation sociale ", voir les premiers débats
à ce sujet dans Transversales, Mai-Juin et Juillet-Août 1999).
Intervenants:
-
M. Mendell, (Professeur
d'économie sociale, Montréal, Canada), " L'économie
communautaire québécoise, les enjeux politiques "
-
D. De Moustiers (professeur
d'Economie, I.E.P. Grenoble), " Sur la situation de
l'économie sociale "
-
A. Pessin (professeur
de sociologie, Grenoble), " Sur l'idée d'utopie "
-
Lipietz (économiste,
CNRS, député européen), " Comment favoriser l'émergence
d'un tiers secteur d'utilité écologique et sociale ? "
-
E. Buccolo (économiste,
Italie), " Les Banques du Temps en Italie "
-
P Rizzo (sociologue,
Martano, Italie), " L'économie communautaire en
Italie "
-
P Viveret (Transversale
Science Culture, Paris), " La problématique des
monnaies plurielles "
-
J -L. Laville (sociologue,
CNRS, Paris), " Une troisième voie pour le travail :
l'économie solidaire "
-
H. Sibille (Délégué
interministériel à l'économie et à l'innovation sociale),
" Potentiels et enjeux de la coopération et de
l'innovation sociale "
7 rue St-Polycarpe 69001 Lyon
téléphone : 04 78 39 36 36
télécopie : 04 78 28 50 16
E-mail : condition.des.soies@@@
wanadoo fr
Comité de pilotage (Provisoire) :
-
Atelier de création libertaire
-
Centre Auguste et Léon Walras
-
Centre de sociologie des représentations et
pratiques culturelles de l'université de Grenoble
-
Condition des Soies
-
Coopérative latitude
-
Danièle Demoustier
-
Maine du 1er arrondissement de
Lyon
-
Union régionale des SCOP
Coordination générale :
Centre social et culturel de la Condition des Soies
contact - Denis Bayon 04 72 72 64 07 (Centre Walras)
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